La phagothérapie : future arme contre la résistance aux antibiotiques ?


Damien LUCIATHE, Emilie OUVRARD, Arthur PEREIRA, Céline SOARES, Philippine TONEATTI, Rebecca TORDJMAN


La phagothérapie est apparue dès les années 1920. Cette thérapie repose sur l’utilisation de virus bactériophages lytiques afin de traiter certaines maladies infectieuses d’origine bactérienne. Aujourd’hui, on connaît des milliers de phages différents tous exclusivement parasites de bactéries. Confrontée à l’antibiothérapie, la phagothérapie fut progressivement abandonnée dans les pays occidentaux. Face à l’augmentation des infections résultant des bactéries multirésistantes, le besoin de nouveaux traitements antibactériens efficaces est devenu une nécessité. Parmi les différents traitements prévus pour échapper à une « ère post-antibiotiques », la phagothérapie se révèle être une alternative particulièrement intéressante.[1]


Un peu d’histoire : évolution de la phagothérapie et des antibiotiques


Découverte des bactériophages

La phagothérapie est née grâce au chercheur Franco-canadien Félix d’Hérelle. Lors de ses recherches sur une épizootie (épidémie frappant les animaux) touchant des sauterelles, il observa des « plages claires » sur gélose, au sein d’une culture de bactéries  prélevée de liquides diarrhéiques de sauterelles. D’Hérelle émit l’hypothèse qu’un élément minuscule capable de traverser le filtre de Chamberland (filtre en porcelaine, permettant de retenir les bactéries, inventé en 1884, par Chamberland, assistant de Pasteur, afin d’assainir les eaux de distribution de la capitale française) était responsable de ces plages claires au sein des cultures. Il ne pouvait pas s’agir d’une bactérie du fait de sa taille. Il réalisa alors d’autres expériences afin d’évaluer ses découvertes sur des humains. Il a ensuite suivi le cas d’un patient atteint de dysenterie à bacille Shiga et mit en évidence le fait qu’il existait aussi des minuscules éléments qui lysaient les bactéries Shiga. C’est alors que la découverte de d’Hérelle fut présentée le 15 septembre 1917 à l’Académie des Sciences. Cette découverte mettait en évidence un organisme invisible agissant en tant qu’antagoniste du bacille dysentérique qu’il nomma bactériophage. Plus tard, grâce au microscope électronique, on a pu voir que les bactériophages étaient des virus et Hérelle développa des premiers traitements pour des volailles contaminées par la typhose aviaire grâce au filtrat où se trouvaient les bactériophages qu’il récupérait de fèces contaminées. Ce traitement s’avéra concluant car 95% des volailles survécurent contre 5% en absence de traitement. D’Hérelle voulut alors utiliser cette phagothérapie pour l’homme. Les bactériophages furent utilisés dans le traitement de pathologies telles que les infections à staphylocoque, infections urinaires, digestives ou même la peste. Si certains traitements ont réduit le nombre de morts, d’autres n’ont pas eu d’impact. Ces variabilités de résultats thérapeutiques décrédibilisèrent ce nouveau traitement qu’était la phagothérapie. Mais le déclin de la phagothérapie sonna avec l’arrivée de l’antibiothérapie. En effet les antibiotiques découverts en 1929 par Fleming, ont été un nouveau moyen de lutte contre des maladies infectieuses, jugés plus pratique en terme de conditionnement, de fabrication ou même d’utilisation.[2]




Développement de la résistance aux antibiotiques

Les microorganismes synthétisent naturellement des molécules pour lutter contre les bactéries concurrentes de leur environnement, en inhibant leur croissance ou en les détruisant. C’est ce qu’on utilise pour créer des antibiotiques. Au cours du XXe siècle, les antibiotiques ont permis de faire considérablement reculer la mortalité associée aux maladies infectieuses. Cependant leur efficacité remarquable s’est accompagnée d’une utilisation intense et fréquente ce qui a conduit les bactéries à développer une résistance à ces traitements. Ces dernières ont accru leurs systèmes de défense. D’abord ponctuelle, cette résistance est vite devenue préoccupante, et nous a conduis à la mise en place de diverses stratégies pour éviter des situations d’impasses thérapeutiques.

La résistance aux antibiotiques peut se manifester via plusieurs mécanismes, comme la production d’enzymes modifiant ou détruisant les antibiotiques, la modification de la cible de l’antibiotique, ou bien une imperméabilisation de la membrane de la bactérie. Elles peuvent survenir à cause d’une mutation génétique affectant le chromosome de la bactérie, ou encore être liées à l’acquisition de matériel génétique porteur d’un ou plusieurs gènes de résistance.

L’antibiorésistance est donc devenue un enjeu majeur de la santé publique. En effet, selon l’étude BURDEN réalisée auprès de 1950 hôpitaux et publiée en 2015 par l’Institut National de Veille Sanitaire, 158 000 infections à bactéries multirésistantes sont survenues en France en 2012 et 12 500 patients sont décédés.

L’antibiorésistance risque de devenir la première cause de mortalité dans le monde à partir de la moitié du XXIe siècle, avec dix millions de décès supplémentaires par an, d’après l’OMS. C’est pour cela qu’il est nécessaire de réduire la consommation d’antibiotiques et de développer d’autres voies thérapeutiques comme la phagothérapie.[3]


Qu’est-ce que la phagothérapie ?


La phagothérapie est une méthode thérapeutique qui a vu le jour dès la fin des années 1920. Cette méthode utilise des phages, “mangeurs”, qui sont des virus naturels et qui sont capables d’éliminer des bactéries de manière spécifique. En effet, chaque virus possède la capacité de cibler une bactérie de façon spécifique, et de l’anéantir sans mettre en danger les cellules avoisinantes.[4]

Comment les phages vont-ils éliminer les bactéries ? Les phages ont une structure particulière puisqu’ils possèdent une structure mixte (c’est-à-dire, une tête, une partie centrale hélécoïdale et une queue)  (cf. figure 1A). Ils vont adhérer à la surface des bactéries grâce à la reconnaissance de récepteurs spécifiques. Comme une seringue, ils vont alors injecter, à travers la paroi de la bactérie, leur génome. Celui-ci va alors se répliquer et servir à la synthèse de nouveaux phages. À la fin de cette multiplication, les phages vont alors lyser la bactérie, ce qui va provoquer sa destruction (cf. figure 1B).[5]


Réflexion sur la phagothérapie


Contexte actuel

            La phagothérapie était utilisée dans les années 1920, avant d’être abandonnée quelques années après, en Amérique du Nord, puis en Europe de l’Ouest suite à la découverte de la pénicilline et au développement des antibiotiques que la recherche pharmaceutique faisait émerger. À l’inverse, les pays de l’Europe de l’Est ont continué et développé l’usage de la phagothérapie. Actuellement, des produits pharmaceutiques à base de phages sont commercialisés en pharmacie en Russie et en Géorgie. En France, la thérapie par les phages est interdite, car aucune loi ne régit ce domaine. Les phages étant des virus, il est difficile d’appliquer les mêmes règles aux phages qu’aux médicaments. Les bactériophages n’ont pas d’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM), ne répondant pas aux critères valables de sécurité sanitaire. En effet il est compliqué d’instaurer une réglementation pour la production, le transport et la vente des phages, qui sont des entités à la limite du vivant.[6]

Phagothérapie vs antibiotiques

            La phagothérapie possède une qualité spéciale : elle permet la remédiation à la résistance aux antibiotiques. En effet, la résistance des bactéries vis-à-vis des bactériophages existera toujours, mais à la différence des antibiotiques, les bactériophages sont des organismes qui vivent. Ceux-ci évoluent, changent avec le temps par des mutations et auront ainsi la capacité permanente d’infecter les bactéries, même si elles développent de nouvelles résistances. Contrairement aux antibiotiques, les bactériophages ont la capacité de se répliquer et de croître rapidement. C'est pourquoi, il n’y a pas besoin d’injecter de fortes doses de phages, ni de le faire sur le long terme. Tant que l’infection pathogène persiste, les phages persistent. Cela permet alors de réaliser des économies sur le plan financier et humain.[7] D’autre part, la diversité des bactériophages entraîne une spécificité limitée vis à vis de la bactérie. Il existe un bactériophage qui peut infecter une bactérie, il faut alors isoler le  phage déterminé pour combattre une infection donnée. Cette particularité les dissocie des antibiotiques qui entraînent un déséquilibre des flores commensales, responsables des troubles digestifs, mycoses et infections opportunistes secondaires. Au contraire, le bactériophage prolifère tant qu’il rencontre la bactérie puis disparaît après la guérison de l’infection. Les bactéries indispensables dans l’organisme sont alors intégralement respectées. Il en résulte qu’une suspension de bactériophages n’engendre pas d’effets secondaires majeurs.[8]

            Cependant, la flexibilité du génome des phages peut poser problème : les transferts de gènes sont fréquents entre souches de bactériophages et les bactéries. Cet aspect peut avoir de sérieuses conséquences si les gènes transférés sont des gènes de résistance aux antibiotiques ou aux bactériophages. Les bactériophages peuvent eux-même porter dans leur génome des gènes de pathogénicité, pouvant constituer une source pathogène pour l’homme. Ceci pourrait assurer un frein essentiel  à l’utilisation massive des phages. Ces derniers ne sont donc pas tous aptes à être utilisés en phagothérapie. De plus, ne pénétrant pas dans les cellules autres que les bactéries, les bactériophages paraissent alors inappropriés pour traiter les infections provoquées par les bactéries à multiplication intracellulaire. Par ailleurs, la spécificité des phages peut également constituer un inconvénient lorsque l’on n’a pas encore isolé les bactéries pathogènes. C’est pour cela que les antibiotiques à large spectre furent inventé, pour augmenter les chances de combattre la bactérie provoquant l’infection.

D’autre part, les industries pharmaceutiques ne semblent pas conquises par ce constituant naturel qui ne peut pas être protégé par des brevets. D’autant plus que, modifié génétiquement, un phage serait alors un Organisme Génétiquement Modifié, soumis à des exigences qui rendraient son acceptation et sa commercialisation difficiles à des fins thérapeutiques.[9]

Comparaison de la phagothérapie et de l’antibiothérapie





           

En définitive, les bactériophages et les antibiotiques sont deux moyens permettant de combattre une bactérie pathogène avec des modes d’action radicalement différents. La phagothérapie pourrait effectivement être une alternative, une solution face à la résistance aux antibiotiques ; mais au lieu d’opposer ces deux traitements, ceux-ci pourraient être associés dans le futur et ainsi proposer une thérapie plus efficace.[10]



Bibliographie


[1] Raphaëlle Maruchitch, Anuliina Savolainen (2012). Le monde : Les phages, des virus guérisseurs. [Page consultée le 22/02/2017] http://www.lemonde.fr/sciences/article/2012/06/14/les-phages-des-virus-guerisseurs_1718745_1650684.html


[2] Magali, Christiane, Elisabeth Berger Savin (2014). La phagothérapie : historique et potentielle utilisation contre les infections à bactéries multirésistantes. [Page consultée le 13/03/2017] http://theses.vet-alfort.fr/telecharger.php?id=1445


[3] Brigitte Bègue (2016). e-santé : des virus mangeurs de bactéries au secours des antibiotiques. [Page consultée le 10/03/2017]. http://www.e-sante.fr/virus-mangeurs-bacteries-secours-antibiotiques/2/actualite/443#paragraphe3


[4] Dublanchet, Alain. La phagothérapie : des virus pour combattre les infections. Favre, 2009. 237p.


[5]  A. Dublanchet, O. Patey, 1er Novembre 2014. « Nouveaux regards sur la phagothérapie 1ère partie », Feuillets de Biologie, Volume 55, N° 321.


[6] Joanna Khenkine (2009). Allodocteurs : La phagothérapie : virus contre bactéries. [Page consultée le 15/02/2017] http://www.allodocteurs.fr/se-soigner/recherche/la-phagotherapie-virus-contre-bacteries_1168.html


[7] R. Prevel, N. Dufour, 1er Juin 2016. « Éditorial Potentialités des bactériophages pour l’infectiologie moderne », la Revue de Médecine Interne, Volume 37, Issue 10.

[8] Ooreka : Phagothérapie. [Page consultée le 12/03/2017]. https://bien-etre.ooreka.fr/astuce/voir/653913/phagotherapie




[10] SCIENCES ET AVENIR (2016). Phagothérapie : des virus contre les bactéries résistantes aux antibiotiques. [Page consultée le 25/02/2017] https://www.sciencesetavenir.fr/sante/phagotherapie-des-virus-contre-les-bacteries-resistantes-aux-antibiotiques_30055