Dangers des ptalates et du biphénolA sur notre santé

Marie DEVILLERS; Aline GERBIER-VIOLLEAU ; Eléonore GRANIER ; Anne-Sophie LECOEUCHE ; Alyzée POULIN.





Les phtalates et le bisphénol A ont comme point commun d’être des perturbateurs endocriniens. Le terme « perturbateur endocrinien » désigne les molécules ayant la capacité de reproduire les effets des hormones et ayant été mis en cause dans des problèmes physiologiques. En effet, ils sont capables d’altérer la production d’énergie ainsi que son stockage, la croissance, la circulation sanguine, le développement, et provoque des anomalies de reproduction et de la fonction sexuelle. La dernière définition de l’Organisation Mondiale de la Santé indique qu’un perturbateur endocrinien potentiel est : « une substance ou un mélange exogène possédant des propriétés dont l’on peut attendre qu’elles conduisent à une perturbation endocrinienne sur un organisme intact ou sa descendance ».
Notre article s’intéressera à deux types de perturbateurs endocriniens retrouvés dans notre vie quotidienne dans différents types d’emballage comme les emballages plastiques, métalliques, ainsi que dans les cosmétiques, comme excipient dans la fabrication de certains médicaments nécessitant une résorption adaptée ou encore comme contenant dans le milieu hospitalier.
Structure et propriétés
Les phtalates
Les phtalates, aussi appelés « esters phtaliques », sont issus de l’estérification de l’acide phtalique par un ou plusieurs alcools. Ils possèdent un noyau benzénique, provenant de l’acide phtalique, et deux groupements carboxylates situés en ortho. La taille de la chaine alkyle apportée par l’alcool peut varier ce qui en fait un critère de différenciation. On trouve ainsi :
Les phtalates longs (dits à longue chaine moléculaire) qui possèdent au moins 7 atomes de carbones. Ce type de phtalates n’est pas considéré comme dangereux pour la santé ou l’environnement.
Les phtalates courts (dits à courte chaine moléculaire) qui possèdent 3 à 6 atomes de carbones. C’est ce type de phtalates qui est considéré comme dangereux pour la santé et l’environnement d’après les études menées sur la reproduction chez les animaux.
 
Figure 1 Formule topologique d'un phtalate
 
Les phtalates sont utilisés principalement, pour leur propriété d’assouplissement dans les matières plastiques. On les retrouve majoritairement dans le PVC (Polychlorure de vinyle). Ce sont, à température ambiante, des liquides transparents, visqueux et incolores. Ils sont hydrophobes et ont une affinité pour les alcools lourds (chloroforme, éther, etc.) et les graisses. Par opposition, ils sont donc très peu, voire pas du tout, solubles dans l’eau. Ce sont des composés dits « semi volatils » qui sont biodégradables dans l’environnement mais peuvent cependant persister dans l’eau où ils vont se mélanger aux sédiments naturellement présents rendant leur dégradation en milieu anaérobie plus compliquée. Ils sont considérés, dans l’eau, comme des micropolluants au même titre que les PCB (PolyChloroBiphényles) et les HAP (Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques).
Propriétés des principaux Phtalates

Phtalate

DEHP

DINP

DIDP

BBP

DBP

Nomenclature

di-2-éthylhexyle

di-isononyle

di-isodécyle

benzylbutyle

dibutyle

Poids Moléculaire

390,6 g/mol

418,6 g/mol

446,7 g/mol

312,3 g/mol

278,3 g/mol

Température d’ébullition

386°C

370°C

370°C

370°C

340°C

Température de fusion

-47°C

-48°C

-48°C

-40°C

-35°C

Densité

0,99

0,97

0,97

1,12

1,04

Solubilité dans l’eau

Quasi insoluble

Insoluble

Insoluble

Faible

Faible
Source : Marie Devillers
Le bisphénol A
Le bisphénol A (BPA), ou 4,4’dihydroxy-2,2diphenylpropane est obtenu par la condensation de l’acétone avec deux groupements phénol. Sous forme solide, le bisphénol A se présente sous forme de cristal, de poudre ou d’écailles blanches. Il fait notamment partie d’une classe de perturbateur endocrinien, les diphénylalkanes hydroxylés, ou bisphénol, qui se caractérisent par la présence de deux cycles aromatiques phényles lié par un pont de carbone.
Le bisphénol A a d’abord été étudié comme œstrogène de synthèse par Dianin en 1891, mais à cause de certaines propriétés intéressantes, la molécule fut récupérée par les industries du plastique. Aujourd’hui encore elle est utilisée pour la production de contenant alimentaire, pourtant classée substance reprotoxique de catégorie 3 et perturbateur endocrinien de catégorie 1. En effet, cette molécule est un agoniste des œstrogènes qui se lie aux récepteurs nucléaires de ces hormones (ERα et ERβ). La structure du bisphénol A présente des analogies avec celle de l’œstradiol, œstrogène naturel, notamment au niveau du cycle phénolique, primordial pour l’activité œstrogènique. De plus, la présence d’un second groupement alcool au bout de la molécule augmente dangereusement cette activité pour conduire au développement de cancers.




Figure 2 Formule topologique du bisphénol A

® Marie Devillers




Une des propriétés du bisphénol A est qu’il peut agir rapidement à des concentrations très faibles. En effet, à de faibles doses, il serait capable d’activer la prolifération des cellules testiculaires en stimulant un récepteur situé dans le réticulum endoplasmique et est exprimé par les cellules testiculaires. Au contraire, à fortes doses, la molécule irait se lier aux récepteurs ERβ, bloquant les effets activateurs du précédent récepteur, et ainsi empêchant la prolifération cellulaire.
En plus de ces effets, certaines études ont réussi à établir une connexion entre le bisphénol A et l’obésité, causée soit par la molécule même soit par une forme métabolisé par l’organisme. En effet, la molécule induirait l’expression de certains gènes impliqués dans la différenciation de cellules adipocytes, mais seulement à de fortes concentrations.
Mode d’exposition
Les phtalates et la BPA étant présents dans un grand nombre d’objets du quotidien, nous y sommes exposés en permanence de différentes façons.
Ingestion
Le bisphénol A (BPA) et les phtalates sont présents tout autour de nous dans notre environnement quotidien. En effet ils font partie notamment de la composition du PVC pour lui donner sa flexibilité, sa résistance et son caractère antibactérien. Si les phtalates ne sont pas présents dans les plastiques alimentaires, par contre, c’est le cas du BPA. Il est présent dans les bouteilles d’eau, les boîtes en plastique, les bouilloires, le film alimentaire mais également dans le revêtement intérieur des boîtes de conserve, des cannettes et dans les biberons. C’est donc par ces contenants que le BPA peut se retrouver dans les aliments et, s’il est exposé à la chaleur de nombreuses fois (micro-ondes), être transféré aux aliments. Une étude faite par l’INRA en 2010 sur un chien montre que le BPA présent dans les aliments entre en contact avec les muqueuses buccales  et pénètre facilement dans l’organisme au niveau d’une zone richement vascularisée sous la langue. Cette ingestion fait passer directement la substance dans le sang, sans être métabolisée par le foie et éliminée dans l’urine sous forme d’un composé inactif, et accède donc à la circulation générale.

Figure 3 Exposition au bisphénol A par ingestion
® Alyzée Poulin
Voie cutanée

Pour ce qui est des phtalates, nous y sommes fortement exposés puisqu’ils sont utilisés en tant que plastifiant et servent à assouplir les plastiques avec 90% des productions. Ils sont présents dans les cosmétiques car ils permettent d’augmenter le pouvoir de pénétration des produits sur la peau par leurs affinités avec les graisses du corps humain. De plus ils empêchent le vernis de craquer et sont utilisés comme agents fixateurs et dans les colles. Cette molécule est donc totalement présente dans notre quotidien et un grand nombre de personnes la côtoie  par les couches pour bébé, les bottes, et les textiles imperméables.

Figure 4 Exposition au bisphénol A par voie cutanée   
® Alyzée Poulin


Intraveineuse
Bien que les phtalates et la BPA soient peu volatiles, ils peuvent se trouver dans les cosmétiques tels que le parfum, les déodorants ; mais également dans les colles et peintures. Ils vont être transportés par les aérosols, ce qui va conduire à une inhalation de ces molécules qui vont entrer dans l’organisme et entrainer des pathologies et défaillances.
Cette contamination peut également se faire par transmission intraveineuse. De nombreuses recherches ont révélé la présence de ces composés dans le matériel médical tels que les cathéters, poches de sang, sondes… Malgré leur faible quantité, cette voie d’exposition est importante car ces molécules sont en contact direct avec le sang ; ce qui augmente le risque de transmission. Des études réalisées en Octobre 2007 dans les départements de Seine-Saint-Denis et dans des régions de Rhône-Alpes ont montrées que les femmes ayant accouché par césarienne ont une concentration en BPA et en phtalates dans les urines plus importante que les femmes ayant accouchées par voie naturelle. Il s’est avéré que cette contamination proviendrait des poches et des sondes urinaires posées aux femmes qui ont eu recours à la césarienne. En effet l’Institut de veille sanitaire a mis en place de nombreux tests sur les poches urinaires destinées à la maternité et ont révélés une forte quantité de Bisphénol A rejeté dans l’urine. Cette exposition toucherait notamment les enfants prématurés par la pose d’un cathéter. Les études ont montrées des changements de comportements chez l’enfant de 7 à 9 suite au contact de matériel médical durant sa période fœtale ; matériel étant composé de phtalates et de BPA.
Les dangers pour la santé et les solutions
Les dangers
En règle générale, les substances polymérisées comme le BPA ou les phtalates restent dans les matériaux et résistent à un seuil de chaleur. Mais, si cette exposition est faite à répétition ou à de trop fortes températures, les substances peuvent passer dans les aliments et engendrer des perturbations après ingestion. N’étant pas utilisés dans les plastiques alimentaires, les phtalates ne semblent pas à ce jour avoir une activité néfaste pour la santé.
Le BPA au contraire, est un perturbateur endocrinien. Par sa faculté hormonomimétique, il est capable de mimer les effets de l’oestradiol et ainsi dérégler le système hormonal tout entier. L’oestradiol est une hormone qui permet de maintenir la fertilité chez la femme et le développement de ses caractères secondaires. En mimant cette molécule, le BPA empêche son action puisqu’elle se fixe sur les récepteurs de l’oestradiol.
Les dangers engendrés sont liés à la concentration en substance dans l’organisme. Sa limite est fixée à 0,05mg/kg/j par l’EFSA. Jugée trop importante pour les enfants de moins de 3 ans et encore plus pour les nourrissons, son utilisation a été interdite dans les biberons depuis le 30 Juin 2010 et dans les contenants alimentaires destinés aux enfants depuis Janvier 2013.
Aujourd’hui chez l’Homme, aucun effet produit par le BPA n’a été mis en évidence. C’est pourquoi, les experts ont décidé de s’appuyer sur les résultats avérés chez les animaux, où la toxicité est  prouvée, pour évaluer les risques suspectés chez l’Homme. Sur une base d’expérimentation animale à partir d’analyses faites avant 2012, l’ANSES a décrit, pour les femmes enceintes et les nourrissons, les principaux types d’effets comme étant des risques pour :
Le cerveau et le comportement dans l’altération des fonctions de l’apprentissage et de la mémoire,
La reproduction car ils provoquent des kystes ovariens qui perturbent les cycles menstruels ou des malformations des organes génitaux,
Le métabolisme et l’obésité par la perturbation du métabolisme des lipides, cholestérol et tryglycérides,
Les glandes mammaires engendrant des cancers du sein.
Pour les personnes exposées en masse, les principaux risques sont pour les femmes enceintes et engendrent un mauvais développement du fœtus mais ne provoquent pas de fausses couches.
Après avoir longtemps été présents dans les jouets et de nombreux articles de puériculture, ils sont maintenant interdits. Les enfants ne sont pas épargnés car il y a une éventualité que les phtalates se transmettent via le lait maternel. Des recherches sont en cours. Chez les jeunes enfants des anomalies sont repérées au niveau du système sexuel en cours de développement ; il peut y avoir des effets sur le foie et les reins. Une étude américaine a démontré que le fait d’être exposé dès le plus jeune âge à ces composés augmenterait le risque d’obésité infantile. En effet, parmi les enfants en surpoids la majorité ont une concentration urinaire en bisphénol a et phtalates importante.
Le BPA et les phtalates perturbent la synthèse d’hormones thyroïdiennes. Ceux-ci, en se fixant sur leurs récepteurs vont activer le métabolisme et engendrer la lipolyse, qui est à l’origine de la perte de poids. L’obésité chez les enfants serait donc à l’origine d’une faible quantité d’hormones thyroïdiennes, due à l’action des perturbateurs endocriniens sur leurs synthèses.
En plus de ces conclusions, d’autres effets ont été détectés : l’attaque de l’émail des dents par le BPA. Encore une fois, l’observation a été faite sur des animaux et retrouvée chez les hommes. Ici, des rats ont été exposés au BPA et présentent des taches blanches sur les dents. L’INSERM a conclu à une attaque par le BPA de l’émail des dents chez 18% des enfants de 6-8 ans. Un récent article du Monde montre qu’il pourrait y avoir des effets sur d’autres organes comme l’oreille interne, détecté chez le poisson zèbre. Les recherches se poursuivent et il est probable que d’autres conséquences de cette molécule sont encore inconnues et/ou non prouvées pour l’instant.
Les solutions
L’ANSES après avoir publié en 2011 un article sur les dangers relatifs au bisphénol A, a fait un appel à contribution pour trouver un substitut à ce produit. Cet article publié en 2013 a révélé qu’il existerait plusieurs solutions pour substituer le BPA mais que malgré tout, il ne pourrait pas être remplacé partout ni avec la même efficacité et faisabilité. Si la molécule ne peut pas être substituée, il est peut être possible de la rendre inactive pour l’organisme humain ? C’est dans cette optique que l’INSERM a effectué une étude sur la structure de la molécule du BPA et son interaction avec les récepteurs à l’œstradiol. Il est donc question de modifier la structure de la molécule de BPA pour qu’elle ne puisse plus interagir avec les récepteurs de l’œstradiol tout en gardant ses propriétés de bases. Dans des mesures plus radicales, les BPA devraient être interdits à la production dans les contenants alimentaires en Janvier 2015 comme le préconise la Stratégie Nationale contre les Perturbateurs Endocriniens (SNPE).
Le BPA possédant la capacité de traverser la peau, les gants en coton ou autre matière ne sont pas une solution car ils auront l’action inverse à celle attendue c'est-à-dire absorber la molécule comme une éponge et ainsi augmenter la transmission.
Suite aux découvertes faites ces dernières années, les recherches continuent à être actives pour connaitre tous les risques encourus en manipulant ou étant en contact de ces molécules. Mais en attendant le Réseau Environnement Santé préconise quelques recommandations comme éviter de mettre des matières plastiques au four micro-onde ou bien conserver les denrées alimentaires dans des récipients en verre.
L’exposition humaine aux phtalates et au BPA est ubiquiste et les voies d’expositions  sont diverses. Le mode d’action de ces molécules est mal connu, mais certains effets sont soupçonnés.  Les phtalates et le bisphénol A pourrait causer le développement de cancer du sein, la stérilité, et chez la femme enceinte, une malformation du fœtus.  Malgré tout, ces composés ne peuvent être supprimés totalement, et à défaut de cela, il est indispensable de poursuivre les études aussi bien sur la substitution des molécules que sur la population exposée.





Bibliographie