Chiens et pigeons : futurs diagnostiqueurs de cancers ?

Guillaume Chazot, Jasmine Chortani, Kevin Mosca, Wassila Souna, Anaïs Ying Ping Ng Kong Chou



De nouvelles méthodes de détection du cancer s’avèrent prometteuses en mettant à profit les grandes capacités d’animaux comme le chien ou le pigeon.

A l’heure où le cancer est l’une des principales causes de mortalité dans le monde, les méthodes de détection de cette maladie demeurent pourtant laborieuses. En effet, cette pathologie, caractérisée par la prolifération de cellules anormales générant des tumeurs, est difficile à détecter avec précision. Et si les moyens de dépistage sont certes nombreux, ils sont souvent limités, car spécifiques d’un seul type de cancer ou pas assez sensibles, en plus de posséder d’autres inconvénients comme la difficulté d’application ou le coût. Biopsies, mammographies, fibroscopies, toucher rectal sont autant de procédures inconfortables et faisant surtout preuve d’une efficacité incertaine. Les méthodes actuelles n’étant donc pas infaillibles, cela entraîne des conséquences fâcheuses en cas de mauvais diagnostic. Impact psychologique pour le patient en cas de faux positif, mais aussi économique lors de la mise en place d’examens complémentaires pour finalement découvrir un résultat négatif. Sans compter les faux positifs qui entraînent des conséquences encore plus dangereuses [1]. Dans un contexte où les cas de nouveaux cancers ne cessent de se déclarer, il devient primordial de mettre au point de nouvelles méthodes plus performantes. L’urgence serait de pouvoir détecter plus facilement ce fléau grandissant qu’est la maladie. Depuis quelques décennies, trois facteurs entrent en compte dans cet accroissement du nombre de malades : l’explosion de la démographie, le vieillissement global de celle-ci et l’augmentation de la fréquence des cancers [2].

Afin de pallier cette élévation inquiétante, la recherche s’attèle à améliorer les outils déjà à disposition mais aussi à développer des méthodes plus innovantes et qui se veulent moins invasives. Toutefois, les cancers pouvant prendre plusieurs formes et atteindre différents stades, la tâche s’avère longue et ardue. Or, depuis peu, des études se focalisent sur les aptitudes qu’ont certains animaux à détecter les cancers.

Dans le monde en 2012, 14 millions de nouveaux cas de cancers sont déclarés et on compte 8.2 millions de décès causés par la maladie. La France compte 355 000 nouveaux cas à cette période, le cancer de la prostate pour l’homme et celui du sein pour la femme étant les plus fréquents [3].

       UN NEZ TRÈS FIN

En 1989, un chien était agité à proximité d’un grain de beauté situé sur la jambe de sa maîtresse, il passait son temps à le renifler et montrait une attitude anxieuse. Celle-ci y accordait peu d’attention, mais, intriguée par le comportement de son chien, a fini par consulter. Il s’agissait d’un mélanome, un cancer de la peau. Officiellement, c’était la première fois qu’un chien décelait la présence d’une maladie chez l’Homme. Il faudra tout de même attendre les années 2000 avant que des recherches plus poussées soient enfin menées à propos de ce phénomène. Entre-temps, d’autres cas ont été signalés où des chiens ont démontré leur aptitude à identifier différents cancers de type solide. Plus précisément des carcinomes, provenant des cellules épithéliales, qui composent le « revêtement » des organes. Ces carcinomes concernent les maladies comme le cancer du sein, de la prostate, de l'intestin, des poumons ou encore de la peau. Parfois, il arrive que certains traitements anti-cancer, indispensables pour guérir de la maladie, puissent eux-mêmes provoquer l'apparition différée de nouvelles cellules malignes, on parle alors de cancers secondaires. Ceux-ci sont eux aussi détectables par l’odorat canin. Au vu de déterminer et exploiter au mieux la capacité des chiens à discerner des cancers très variés, des études sur la localisation du cancer par le nez canin ont été développées dans divers laboratoires du monde entier. En Allemagne, des chiens sont parvenus à identifier de manière positive l’haleine de personnes étant atteintes de cancer du poumon. En parallèle, en France, un oncologue/urologue est parvenu à prouver la capacité des chiens à détecter le cancer de la prostate dans les urines. De même, d’autres études ont démontré que les chiens pouvaient identifier le cancer de l’intestin et du colon dans les selles. Dernièrement, le chercheur Arny Ferrando a découvert que les chiens pouvaient aussi repérer dans les urines le cancer de la thyroïde. La capacité des chiens à détecter divers cancers solides repose sur un principe simple. Ces cancers ont en commun l’action d’expulser des composés volatiles organiques (COV) qui sont retrouvés dans les urines ainsi que dans l'air expiré à un stade précoce de la maladie. Cette habileté à détecter le cancer à un stade précoce promet une prise en charge plus rapide de la maladie, et donc de meilleures chances de guérison. Lors du développement des cancers, des molécules volatiles sont issues de la membrane des cellules. Ces molécules sont ainsi détectables par la truffe de chien – qui possède de 120 à 220 millions de cellules sensorielles, contre 5 millions pour l’être humain. L’odorat canin est donc largement supérieur à celui de l’homme.  D’après les études du Dr Uri Yoel, les chiens capables de détecter les cellules tumorales du sein démontrent également leur habileté à déceler d’autres cellules cancéreuses issues de diverses zones. Cela indiquerait que la molécule détectée par les animaux et qui leur permet d’identifier les tumeurs serait identique pour tous les types de cancer [5].


Figure 1. Taux de réussite des études portant sur la détection des cancers par les chiens. [4]
      
        L’ACUITE VISUELLE DU PIGEON

Tout comme les chiens, d’autres animaux sont capables de diagnostiquer efficacement des cancers, à l’instar des pigeons. En effet, ces derniers ont l’aptitude de détecter les cancers du sein. Le cancer du sein appartient à la catégorie des cancers solides. En ce qui concerne le cancer du sein, on retrouve des carcinomes caractérisés par des cellules cancéreuses proliférant à l’intérieur de canaux galactophoriques, canaux transportant le lait excrété par les glandes mammaires jusqu’au mamelon [6]. Le grand risque évolutif du cancer du sein réside dans la délocalisation de celui-ci vers d’autres organes. Effectivement, les cellules cancéreuses migrent par les voies et les ganglions lymphatiques et vont se localiser dans d’autres organes. Ce phénomène est appelé métastase. Majoritairement, la détection d’un cancer se fait, suite à un examen physique complet par le médecin, par mammographie. Cette technique de radiographie permet d’acquérir des images de l’intérieur du sein à partir de rayons X et d’ainsi repérer les anomalies [7]. Actuellement, ces anomalies sont détectées par des cancérologues expérimentés mais dans le futur, les pigeons pourraient être amenés à prendre le relais. Une étude menée par des chercheurs de l’université de Californie à Davis et de l’université de l’Iowa révèle que les pigeons de ville (Columbia Livia) sont capables de faire des diagnostics de cancers pratiquement aussi justes que ceux faits par des cancérologues. Ils détectent ces cancers grâce à des clichés. Leur capacité à diagnostiquer ces cancers vient donc de leur système visuel qui est quasiment identique au nôtre, ainsi que de leur fabuleuse mémoire. Dans cette étude, plusieurs expériences ont été réalisées à l’aide de groupes de 4 à 8 pigeons. Ces expériences servent de modèle dans les études expérimentales sur la détection de cancers [8]. La première expérience a duré deux semaines. Les pigeons ont été entraînés 1h par jour à étudier 144 clichés. Ils devaient déterminer si un cliché d'une biopsie contenait ou non une cellule maligne. Pour cela, les pigeons devaient taper du bec sur une ligne bleue si la cellule était maligne ou une ligne jaune si la cellule était bénigne. Quand ils répondaient correctement ils recevaient automatiquement une récompense sur un plateau.  Pour approfondir les recherches, les animaux étaient entraînés sur des clichés en noir et blanc, avec des couleurs différentes, des taux de compression numérique plus ou moins élevés, ou encore des contrastes variables. Ces expériences ont permis de démontrer que la modification de ces paramètres a un impact significatif sur les taux de réussite. De nouvelles pistes ont ainsi pu être ouvertes dans l’espoir d’utiliser les pigeons pour améliorer la présentation visuelle des biopsies et par la même occasion faciliter le diagnostic des cancers pour les pigeons comme pour les médecins. Durant une seconde phase d’entraînement, les animaux étaient présentés aux mêmes clichés ainsi que d’autres, inédits. Certains clichés déjà présentés ont été agrandis, retournés à différents degrés en plus d'être soumis aux mêmes modifications que lors de la première phase d'entraînement. Les résultats sont restés sensiblement similaires, et les volatiles ont une fois de plus prouvé leurs capacités d’adaptation et de mémorisation. De plus, l’efficacité de la méthode a pu être améliorée d’une manière simple et peu coûteuse grâce à un système de récompense automatique. Au début de ces expériences, le taux de réponses correctes des pigeons était d'environ 50%. Après avoir mis en place un distributeur de friandises lorsque les pigeons répondaient correctement, leur taux de réussite a fortement augmenté. Mais malgré des taux de réussite élevés, leur efficacité reste tout de même inférieure à celui d'un spécialiste humain. Une seconde expérience d’envergure a par la suite été mise en place. L’objectif était de déterminer si les animaux étaient capables de détecter des cancers dans des situations où l’homme est impuissant. Les pigeons ont donc dû essayer de repérer des micros calcifications sur des mammographies [9]. Ces micros calcifications permettent un diagnostic précoce du cancer du sein mais sont difficilement identifiables par un médecin. Les résultats de ce test ont montré que les pigeons pouvaient certes détecter ces anomalies, mais le tout de manière trop aléatoire. En parallèle, les chercheurs ont tenté de leur faire différencier les « masses » malignes ou bénignes sur une mammographie, sans succès. Ces échecs ont toutefois permis de déterminer des limites à leurs capacités de détection. Si les pigeons ne sont donc pas encore aptes à remplacer les médecins dans les hôpitaux, leurs compétences pourraient servir à tester de nouvelles techniques d’imagerie numérique : chaque fois qu'un nouvel outil de diagnostic serait créé, il devra être présenté à des pigeons pour qu'il détermine son efficacité et son intérêt, puis il passera la dernière phase de test faite par les médecins, qui est longue et coûteuse. Le but final étant de concevoir des systèmes automatiques de reconnaissance de cette pathologie.



A savoir: Biopsie : Prélèvement d’un fragment de tissu ou d’organe dans le but d’affiner ou établir un diagnostic.
Micro calcification : petit dépôt calcaire dans le sein, parfois révélateurs de cancer. 

Figure 2. Taux de succès de détection du cancer par les pigeons et les hommes [9]

ANIMAUX ET ADAPTATIONS TECHNOLOGIQUES

Malgré l’efficacité avérée des animaux à détecter des cancers, il subsiste des contraintes importantes empêchant d’y avoir un recours massif. Il n’est ainsi pas envisageable d’introduire de trop nombreux chiens dans les hôpitaux. De plus, les coûts d’élevage et d’entretien d’animaux dépisteurs de cancers sont conséquents, de même que l’espace de vie qui leur est nécessaire. Pour remédier à ces problèmes, on s’intéresse actuellement au développement d’alternatives artificielles, inspirées des capacités animales. De ce fait, des chercheurs du monde entier se penchent depuis plusieurs années sur l’odorat canin, qui décèle une combinaison particulière de molécules associées au cancer.  L’enjeu du projet vise donc à exploiter les exceptionnelles prouesses olfactives de l’animal comme un outil de détection facilement applicable et faisant preuve d’une grande efficacité. Cette idée de concevoir un « nez électronique », aux compétences similaires à celui de la truffe canine est une nouvelle voie de recherche économiquement viable [10]. La recherche essaie donc de définir la fameuse combinaison de molécules liées à la maladie pour pouvoir créer des machines aptes à les déceler. Il s’agit de déterminer les biomarqueurs des composés organiques volatiles (COV) présents dans les échantillons d’haleine ou d’urine. Une étude préliminaire récemment publiée dans le British Journal of Cancer, a révélé que des chercheurs, au Technion-Israël Institut of Technology de Haïfa, ont développé un capteur utilisant des nanoparticules qui distinguent avec succès une haleine saine d’une haleine cancéreuse. Il mesure en effet les niveaux de COV dans les échantillons en provenance de patients atteints de cancer du poumon, du sein, du côlon ou de la prostate, permettant de distinguer les différents types de cancer. La recherche se poursuit en espérant la mise au point d’un nez artificiel dans le cadre d’une étude plus vaste et de parvenir à mettre au point un capteur en vue d’une utilisation clinique. Du côté des pigeons, force est de constater que malgré leurs capacités étonnantes, ils ne sont pas prêts de remplacer des médecins, notamment car ils sont inaptes à prendre une décision contextuelle. C’est donc pour cela qu’il est préférable d’utiliser des technologies plutôt que des pigeons pour détecter des cancers. Mais contrairement au « nez électrique » que les scientifiques tentent de concevoir, il serait beaucoup plus difficile d’imiter la vue du pigeon. Des essais prometteurs ont pourtant déjà été réalisés pour concevoir des programmes capables d’imiter l’acuité visuelle des pigeons. Une application mobile est déjà en projet afin de pouvoir détecter des cancers de la peau. Il suffirait de prendre une photo d’un mélanome de la peau pour savoir si ce dernier est cancérigène ou non, cette application a ainsi obtenu un taux de succès de 85% pendant ses tests ; ce qui est supérieur au taux des médecins généralistes et s’approche de celui des dermatologues. L’application est encore en phase d’évaluation mais une commercialisation prochaine pourrait être envisagée.

En quête d’autres alternatives, certains chercheurs développent des procédés permettant de tester les capacités d’autres animaux à détecter les cancers. Suite à de nombreuses expériences, il a été établi que les abeilles ou encore les chats démontrent eux aussi une habileté à repérer les COV révélateurs de la maladie. Des études plus poussées sont actuellement en cours. Le travail avec les animaux recèle donc encore beaucoup de promesses.

Bibliographie

[5]. Willis, Carolyn M., Susannah M. Church, Claire M. Guest. « Olfactory Detection of Human Bladder Cancer by Dogs: Proof of Principle Study ». BMJ 329, no 7468 (23 septembre 2004): 712. doi:10.1136/bmj.329.7468.712.

Webographie
[1]. « Dépistage du Cancer ». http://www.oncoprof.net/Generale2000/g03_Depistage/g03_d01.php. Page consultée le 15 mai 2016.
[2]. « OMS | Cancer ». WHO. http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs297/fr/.
 Page consultée le 15 mai 2016.
[3]. « Le cancer en chiffres | Fondation contre le Cancer ». http://www.cancer.be/les-cancers/le-cancer-en-chiffres. Page consultée le 15 mai 2016.
[4]. Hugo Jalinière. « La truffe du chien, avenir du dépistage du cancer ? » sciencesetavenir.fr. http://www.sciencesetavenir.fr/sante/20150311.OBS4344/la-truffe-du-chien-avenir-du-depistage-du-cancer.html. Page consultée le 15 mai 2016.
[6]. « Les points clés - Cancer du sein | Institut National Du Cancer ». http://www.e-cancer.fr/Patients-et-proches/Les-cancers/Cancer-du-sein/Les-points-cles. Page consultée le 16 mai 2016.
[7]. « Des pigeons formés pour repérer des cancers du sein ». GuruMeditation, 21 novembre 2015. http://www.gurumed.org/2015/11/21/des-pigeons-forms-pour-reprer-des-cancers-du-sein/.
[8]. Roman Ikonicoff. « Science et vie ». http://www.science-et-vie.com/2015/11/les-pigeons-demontrent-une-incroyable-capacite-a-identifier-des-cancers/. Page consultée le 15 mai 2016.
[9]. Cadot Julien. « Des pigeons savent détecter les cancers sur des radios - Sciences – Numerama ». http://www.numerama.com/sciences/132108-les-pigeons-savent-detecter-les-tissus-cancereux.html. Page consultée le 15 mai 2016.
[10]. « La truffe du chien, sans égale pour dépister le cancer de la prostate | Actualité | LeFigaro.fr - Santé ». sante.lefigaro.fr. http://sante.lefigaro.fr/actualite/2014/05/21/22370-truffe-chien-sans-egale-pour-depister-cancer-prostate. Page consultée le 15 mai 2016.