Les nano-médicaments : définition et intérêt thérapeutique

Caroline Bille, Elodie Laporte, Agathe Minier, Alexis Murat, Diana Skypchenko


Les nano-médicaments sont apparus il y a 10 ans afin de traiter des cancers. Paul Ehrlich, qui peut être considéré comme le père de la chimiothérapie qui a reçu le prix Nobel de médecine en 1908, a pensé que l’on pourrait éliminer des cellules cancéreuses grâce à un médicament qui ciblerait la cellule sans jamais la rater. Il a ainsi eu l’idée du concept de nano-médicament. En 1977, Paul Speiser un des précurseurs des nanotechnologies et Patrick Couvreur un chercheur, arrivent à placer des principes actifs dans des nano-capsules qui se dissolvent au cours du temps. Les nano-médicaments sont nés.


Qu’est ce qu’un nano-médicament ?

Le principal défaut des médicaments classiques reste l’effet secondaire. Pour l’éviter, une des solutions serait de diminuer la dose de médicaments administrée. Cependant, en faisant cela, le médicament est beaucoup moins efficace. La seule solution envisageable est de faire en sorte que le médicament n’atteigne que les organes cibles.
Les nano-objets et les nanotechnologies reposent sur des outils de l’ordre du millionième de millimètre. Cette taille infiniment petite donne de nombreux avantages dans différents domaines : l’énergie, l’informatique, etc.
De plus, les nanotechnologies peuvent largement contribuer au progrès dans le domaine de la santé de part de nouveaux diagnostics plus poussés et de nouvelles approches thérapeutiques. Les nombreuses propriétés des médicaments issus des nanotechnologies, leur permettent de dépasser les limites des traitements classiques, comme la chimiothérapie et ainsi d’éviter l’imprégnation de l’organisme.
Ces nano-médicaments sont des médicaments disposant d’une fonction téléguidée. Un « véhicule » appelé vecteur est capable de transporter la molécule du principe actif directement jusqu’à la zone infectée. Grâce à des scientifiques comme Patrick Couvreur et Paul Speiser, la vectorisation des médicaments est née et permet le ciblage du principe actif vers le site d’action et par leur taille nanométrique, de rentrer dans une cellule tumorale afin d’y déverser le principe actif. Ce processus réduit donc la toxicité et augmente l’efficacité des molécules thérapeutiques en les adressant spécifiquement aux cellules malades sans endommager les cellules saines et sans qu’elles soient distribuées ailleurs dans l’organisme.
Les nanovecteurs ont la propriété de garder le principe actif à l’intérieur de leur capsule et de l’acheminer là où est sa visée thérapeutique. Sur la surface de la capsule peuvent se trouver des fonctionnalités chimiques selon la destination du nano-médicament dans l’organisme. Il existe trois sortes de vecteurs différents pour les nano-médicaments : les vecteurs de première génération, de deuxième génération et de troisième génération. Chacun de ces vecteurs à des propriétés différentes et donc une utilisation singulière.
Les nanovecteurs de première génération sont, la plupart du temps, sous la forme de liposomes, une vésicule qui peut être facilement dégradée par le corps, il peut aussi se trouver sous la forme de micelles. Ces vecteurs n’ont pas de modifications chimiques à leur surface. Ils sont introduits par voie intraveineuse, le nano-médicament se retrouve donc dans la circulation sanguine. Dans la circulation sanguine se trouvent des protéines comme les opsonines qui vont s’adsorber à la surface du liposome grâce à des interactions hydrophobes fortes. Les opsonines qui adhèrent au liposome expriment que cette nanomolécule fait partie du non soi. L’organisme les reconnaît comme des corps étrangers. Les liposomes passent au niveau de l’épithélium des vaisseaux sanguins discontinus du foie. Les cellules de Küppfer étant des macrophages ayant pour rôle de nettoyer l’organisme des corps étrangers. Les macrophages ont des récepteurs reconnaissant les opsonines présentes sur le liposome. Les liposomes vont se retrouver dans le macrophage par endocytose dans des endosomes. Suite à cela ils fusionnent et génèrent un pH acide. Ce pH acide détruit les endosomes et libère donc le principe actif dans le macrophage qui va pouvoir être diffusé à travers la membrane plasmique de cette cellule pour atteindre les cellules hépatiques malades.

Nanovecteur de première génération
Les nanovecteurs de deuxième génération se différencient de ceux de première génération par la différence de composition de la surface du vecteur. On part des nanovecteurs de première génération sur lesquels on greffe des chaines de polyéthylène glycol (PEG), qui sont des polymères hydrophiles. Le nanovecteur obtenu est appelé PEGylé. La voie d’administration est la même que celle des nanovecteurs de première génération : par voie intraveineuse. Ces liposomes se retrouvent dans la circulation sanguine. Les vecteurs de deuxième génération vont donc rencontrer les opsonines mais, du fait que des polymères de polyéthylène glycol aient été greffés à sa surface, ils vont empêcher l’adsorption des opsonines. C’est pourquoi les liposomes PEGylés sont appelés furtifs car ils ne sont pas reconnus comme des composants du non soi. Du fait que les opsonines ne soient pas sur le vecteur de deuxième génération, il ne va pas y avoir reconnaissance au niveau du foie avec les récepteurs des macrophages hépatiques et ils vont donc rester dans la circulation sanguine plus longtemps, ce qui témoigne de leur efficacité à viser d’autres tissus que celui du foie. C’est au niveau d’un tissu malade autre que les cellules hépatiques qu’il y a un endothélium vasculaire discontinu. Il y a une diffusion passive du liposome entre les vaisseaux sanguins et le tissu malade. Le liposome est dégradé et le principe actif libéré pour agir sur les cellules malades.
Nanovecteur de deuxième génération
Les nanovecteurs de troisième génération sont faits à partir des nanovecteurs de deuxième génération. Ceux-ci ont la propriété particulière de pouvoir rentrer à l’intérieur des cellules, donc leur visée est intracellulaire. En plus des polymères de polyéthylène glycol à la surface du vecteur, on rajoute des ligands comme par exemple de l’acide folique. On les injecte par voie intraveineuse. Les récepteurs à l’acide folique sur les cellules cancéreuses sont hyper exprimées donc les vecteurs seront choisis de manière sélective, c’est l’adressage moléculaire. Dans la circulation sanguine, les opsonines ne peuvent s’y fixer, donc ces liposomes ne sont pas reconnus comme corps étrangers de l’organisme. A proximité d’un tissu tumoral, les vecteurs de troisième génération rencontrent un endothélium discontinu. Ils vont diffuser passivement au travers de l’épithélium discontinu et atteindre la tumeur. Les liposomes se fixent sélectivement sur les récepteurs de la cellule cible tumorale grâce à l’acide folique. Ils se retrouvent à l’intérieur de la cellule par endocytose grâce à l’annexe avec l’acide folique sur la cellule tumorale et fusionnent entre eux. Cela augmente le pH et donc détruit les liposomes en libérant le principe actif du nano-médicament à l’intérieur de la cellule malade.
Nanovecteur de troisième génération 

Quelles utilisations pour la recherche aujourd'hui ?

Les nano-médicaments qu’ils soient de première, deuxième ou troisième génération peuvent soigner et pourront soigner un grand nombre de maladies notamment des maladies graves en ciblant des organes spécifiques. Ils peuvent par exemple soigner certains cancers et même des maladies neurologiques. De nombreuses recherches sont en cours.
Pour le traitement des cancers, une dizaine de médicaments sont déjà commercialisés, comme le Doxil® ou l’Abraxane®, d’autres font l’objet d’essais cliniques. En cancérologie les propriétés physiques des nanoparticules sont également utilisées. La société Nanobiotix a créé une nanoparticule NanoXray® faite d’oxyde d’hafnium. Ce composé permet d’augmenter l’efficacité des rayons X. Les nanoparticules sont injectées dans la tumeur. Quand le patient est soumis à la radiothérapie, elles émettent des électrons afin de détruire la tumeur. Cette méthode permet de ne pas endommager les tissus sains. Ce produit sera certainement commercialisé à la fin de l’année 2016.
Des recherches sont également en cours pour soigner des maladies neurologiques notamment en encapsulant de l’adénosine. C’est une molécule qui agit sur plusieurs récepteurs centraux et périphériques. Cependant, sa demi-vie dans le sang est très courte et elle ne peut pas traverser la barrière hématoencéphalique. Elle ne peut donc pas être utilisée pour soigner des maladies neurologiques. L'Institut Galien, l'Université turque Hacettepe et le CEA-IBITECS ont vectorisé l’adénosine avec du squalène, un lipide, pour former un nano-médicament afin de traiter des traumatismes de la moelle et des accidents vasculaires cérébraux. Ils ont remarqué que la demi-vie de l’adénosine est alors augmentée.
Dans quelques années, les nano-médicaments pourront certainement soigner des maladies sévères comme le choléra, la maladie d’Alzheimer, des scléroses en plaque, des maladies infectieuses. Les nano-médicaments présentent beaucoup d’avantages mais également des désavantages. Ils sont amenés à évoluer dans le futur.
Aujourd’hui, les nanotechnologies se trouvent au cœur du domaine de la recherche médicale, et cela depuis quelques années déjà. Ainsi, grâce à ces technologies, les chercheurs tentent d’élaborer de nouveaux outils de diagnostic. Cependant, le but des chercheurs est de favoriser l’action des nanoparticules au niveau de la région ciblée de l’organisme, celle qui serait atteinte d’une maladie. De nombreux procédés ont été mis en place pour aboutir à cet objectif. Cela a débuté en 1995, lorsqu’une filiale de Johnson & Johnson a encapsulé un anticancéreux, la Doxorubicine®, dans un liposome, ce dernier étant une sphère de lipide, afin de pouvoir traiter certaines maladies du cancer. Puis, en 2005, les nanomédicaments de seconde génération font leur apparition, notamment avec l’Abraxane® qui a pour rôle d’encapsuler l’anticancéreux Taxol® dans une molécule d’albumine afin d’éliminer les métastases du cancer du sein. Enfin, un nanovecteur de troisième génération a été mis au point, le Bind-014®. Il s’agit de l’anticancéreux Taxotere®, molécule efficace contre les tumeurs de la prostate, du poumon et du sein. Cependant, lorsque cette molécule se diffuse dans l’organisme, elle peut s’attaquer à des cellules saines. Par conséquent, le Taxotere® a été encapsulé par les chercheurs dans un polymère biocompatible, qui est l’acide polylactique. Ainsi, les antigènes PSMA (Prostate Specific Membrane Antigen) ont été attachés sur la membrane de l’acide polylactique afin que le Taxotere® puisse être libéré une fois que cette liaison a eu lieu. De plus, le Bind-014® (un PSMA) peut sortir du système sanguin uniquement via des porosités propres aux vaisseaux qui alimentent les tumeurs, et cela du fait de la taille de ce nano vecteur. Néanmoins, le fait que le Bind-014® puisse être confondu dans le sang avec un virus par les globules blancs n’est pas exclu, ce qui pourrait causer sa destruction. Cependant il est enveloppé d’une couche d’un autre matériau biodégradable qui le rend invisible pour le système immunitaire. Scott Minick, le directeur général de Bind explique qu’il serait possible de concentrer jusqu’à dix fois plus de Taxotere® que normalement sans toxicité. Par conséquent, l’augmentation des doses de ces médicaments pourrait atteindre plus d’efficacité. Quant aux cancers généralement non traités avec le Taxotere®, le nano-médicament s’est avéré efficace. L’histoire d’Evelyn Sorensen, révélée dans le Boston Herald en est un exemple. Il s’agit d’une femme dont le cancer des cervicales a diminué de 70% dès le premier traitement sans avoir causé des pertes de cheveux ni de poids. De ce fait, cette femme a survécu, tandis que les médecins n’en avaient pas la certitude.
On peut constater en effet de nombreuses initiatives dans le domaine de la nanomédecine. A Fribourg par exemple, à l’Institut Adolphe-Merkle, Barbara Rothen et Alke Fink tentent de mettre en place des nano vaccins. Notamment, le groupe de Barbara Rothen travaille sur des nanoparticules inhalables dans le but de corriger la réponse aux allergènes de certaines cellules des poumons et rendre les patients sujets à l’asthme allergique, résistants, voire vaccinés. A l’EPFL (Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne), une équipe des professeurs, Melody Swartz et Jeffrey Hubbel mettent au point les nanoparticules constituées de polymères qui pourraient rendre le système immunitaire résistant aux cellules cancéreuses qui lui échappent.
En Allemagne, MagForce s’est lancée dans le développement des nanoparticules qui sont chargées de fer et qui vont pénétrer spécifiquement dans les tumeurs du cerveau. Une fois arrivées, un champ magnétique externe s’active puis entraine des modifications de polarité de ces nanoparticules 100 000 fois par seconde afin d’aboutir à une augmentation de température. Puis, l’augmentation de la température détruit les cellules cancéreuses ou augmente leur sensibilité à une chimiothérapie. En ce qui concerne la France, Nanobiotix mène des expériences sur des nano cristaux qui amplifient la spécificité et l’efficacité des radiothérapies lorsqu’ils se concentrent dans les tumeurs.
Malgré toutes ces découvertes scientifiques, l’industrie pharmaceutique reste toutefois en retrait dans ce domaine. Certaines promesses se sont avérées décevantes. C’est notamment le cas des inhibiteurs de kinases, à l’exception du blockbuster de Novartis Glivec. De plus, les entreprises pharmaceutiques tiennent à s’assurer, par le biais des start-up, de l’efficacité et de la non-toxicité des nano médicaments
En effet, les nano-médicaments doivent être manipulés avec précaution. Etant très récents, on ne connaît pas leurs éventuels effets à long terme. En outre, la nanomédecine reste limitée par un manque de financements.
Des enjeux sociétaux et économiques sont aussi à prendre en compte. Au moment où la nanomédecine sera généralisée, il faudra se poser la question de l’accessibilité par rapport à l’augmentation du coût de santé. Si les systèmes actuels de sécurité sociale ne peuvent pas prendre en charge ces nouveaux traitements, alors seule une minorité pourra en bénéficier, ce qui renforcera les inégalités dans le monde.
Les nano-médicaments peuvent donc présenter des dangers pour l’homme et l’environnement à long terme et des enjeux économiques et sociétaux. Il est donc très important de définir une réglementation stricte pour que leur usage soit contrôlé et encadré par des lois précises.
 

Ce composé très récent dans la recherche et les traitements de maladies graves est donc une avancée médicale révolutionnaire car il est capable d’effectuer un contrôle dans le temps et l’espace, de protéger son principe actif tout en ciblant son action, le rendant alors plus efficace et toléré par l’organisme. Cependant, ces recherches et ces traitements ont un coût, ce qui nous amène à nous demander si les nano-médicaments seront un jour autant commercialisés que les médicaments classiques.


Webographie
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Fondation ARC (2016). Les nanomédicaments : une arme anti-cancer ! : Les avantages des nanomédicaments par rapport aux traitements classiques.[page consultée le 28/04/16]. http://www.fondation-arc.org/A-la-Une/les-nanomedicaments-une-arme-anti-cancer.html#
CEA Sciences.2015.CEA Sciences fabrique de savoir : Un nanomédicament pour protéger les neurones. [page consulté le 29/04/16].http://ceasciences.fr/Phocea/Vie_des_labos/Ast/ast.php?t=actualites&id_ast=1320.

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Le Monde(11/06/2014).Savez-vous ce qu’est un nanomédicament ?.[page consultée le 5/05/16]http://www.lemonde.fr/festival/article/2014/06/11/savez-vous-ce-qu-est-un-nanomedicament_4436253_4415198.html