Transplantation fécale : nouvelle arme thérapeutique ?

Mélanie DENIZON, Emeline FRAY, Gurvan LE LAY, Baptiste LOTTIN, Shamina MOHAMEDISMAIL

Peu connue, la transplantation fécale ou bactériothérapie fécale fait beaucoup parler. Cet ancien procédé découvert entre le Vème et VIème siècle par l’alchimiste chinois Ge Hong qui la prescrivait pour les fortes diarrhées, est toujours utilisé en Chine sous le terme de soupe jaune. Peu conventionnel, ce procédé efficace guérit les maladies intestinales telles que Clostridium difficile qui provoquent des diarrhées chez les patients qui prennent des antibiotiques. Cependant, les scientifiques ont récemment découvert que l’on pouvait peut-être guérir plusieurs maladies comme la maladie de Crohn, l’obésité, le diabète ou encore les maladies mentales à l’aide de ce procédé.


Qu’est-ce que le microbiote ?
       Un microbiote est un ensemble de microorganismes vivant dans un même endroit. Le plus important est celui des intestins : on y retrouve près de 100 000 milliards de microorganismes, ce qui représente près de 2 kilogrammes [1]. Cette flore commensale de l’appareil digestif présente une diversité génétique immense. Nous trouvons ces microorganismes principalement dans la bouche, la fin de l’intestin grêle et le colon, le reste de l’appareil digestif comme l’estomac ou le duodénum étant très acide.
Un fœtus ne possède pas de flore commensale : son organisme est complètement stérile. Le microbiote se constitue dès la naissance et se poursuit tout au long de la vie [2].
Le premier contact d’un bébé avec des microorganismes du monde extérieur est le contact avec la flore génitale de la mère, puis viennent ensuite les contacts avec les microorganismes de l’environnement. Les premières bactéries à coloniser l’appareil digestif sont les bactéries consommant du dioxygène. Ensuite, une fois que ces bactéries ont consommé tout le dioxygène, les bactéries ne poussant qu’en son absence peuvent se développer [1].
Le microbiote va continuer à se développer avec le temps : en fonction de notre environnement, de notre alimentation et de notre hygiène. La composition du microbiote va ensuite se stabiliser. Mais en fonction de notre mode de vie, le microbiote peut changer (régimes, prise de médicament, etc.). Il faudra attendre quelques temps, environ deux mois, avant que le microbiote revienne à son état stable : c’est la capacité de résilience [1].
Chaque individu possède un microbiote unique. En général :
-                les bactéries de la bouche sont des bactéries demandant du dioxygène, principalement des staphylocoques et des streptocoques,
-                dans le début de l’intestin grêle on retrouve des entérobactéries, des entérocoques et des streptocoques (besoin en dioxygène),
-                dans la fin du duodénum et dans le colon on retrouve des bactéries qui ne supportent pas le dioxygène, comme les Clostridiums ou les Bactéroïdes [3].

Les récentes avancées concernant les techniques de séquençage de l’ADN ont permis aux chercheurs de découvrir la très grande diversité de monde microbien dans les intestins par le décompte des gènes. Les chercheurs ont testé 396 échantillons de selles différentes et ont découvert 741 espèces de bactéries [4]. Des équipes de chercheurs ont, par ailleurs, mis en évidence de nombreuses relations de dépendance entre les bactéries de la flore intestinale permettant de mieux comprendre le fonctionnement de la population microbienne intestinale et ses interactions avec le reste de l’organisme.

La relation entre les microorganismes et l’hôte peut paraître unidirectionnelle, c’est-à-dire que seuls les microorganismes tirent avantage de cette relation en y trouvant de bonnes conditions : nutriments, température, pH adapté, humidité. Cependant, des chercheurs ont développé des animaux axéniques, sans flore commensale. On remarque que ces animaux possèdent diverses troubles. On peut donc remettre en question cette idée de relation unidirectionnelle pour développer l’idée de symbiose : c’est-à-dire une association à bénéfice mutuelle, car la flore intestinale et son hôte interagissent. Quatre grands rôles de la flore intestinale ont pu être mis en évidence [3] :
-          Un rôle métabolique : certaines bactéries vont aider à dégrader des nutriments que notre organisme ne peut pas dégrader seul, comme la cellulose par exemple.
Les bactéries vont également produire des vitamines hydrosolubles, indispensable pour l’organisme (K, B8, B12),
-          Un rôle histologique : on remarque que, chez les animaux axéniques, l’appareil digestif n’est pas mature : paroi plus mince, moins de mucus, système vasculaire incomplet. Le transit est donc plus long,
-          Un rôle immunitaire : il y a présence d’un organe lymphoïde dans le système digestif mais chez les animaux axéniques, cet organe est moins développé et ces animaux sont sujets à plus d’infections,
-          Un rôle de barrière : les pathogènes doivent se fixer sur les parois de l’appareil digestif pour survivre. Or ces parois sont occupées par la flore commensale. Les microorganismes vont donc entrer en compétition avec les pathogènes : pour la place, pour l’accès aux nutriments. Les microorganismes vont fabriquer des toxines pour défendre l’hôte et attaquer les pathogènes.

D’autres rôles sont encore étudiés. Il semble que certains microorganismes peuvent avoir un rôle protecteur mais que d’autres peuvent avoir un rôle néfaste en entraînant par exemple une obésité, des allergies ou des troubles comportementaux [1].  Grâce à des tests de transfert de microbiote chez les animaux et les humains, les chercheurs pensent que de nombreuses maladies sont liées à un déséquilibre de la flore bactérienne et que celle-ci pourrait moduler l’expression de nos gènes. On se demande donc s’il est possible de se servir du microbiote à des fins thérapeutiques pour des personnes souffrant d’inflammation grave des intestins, de maladies cardiovasculaires ou encore d’obésité et même de maladies psychiatriques. C’est le concept de transplantation fécale.

Comment se passe la transplantation fécale ?
La transplantation dite « fécale » consiste à transplanter le microbiote intestinal d’un donneur sain vers celui d’un malade. Les selles du donneur contiennent 100 milliards de bactéries par gramme. Même si les bactéries anaérobies meurent par l’air ambiant, elles peuvent survivre si la procédure est faite rapidement. De plus, certaines d’entre elles forment des spores, ce qui permet leur survie. En l’état actuel de la recherche, aucun argument scientifique n’oriente préférentiellement vers un donneur anonyme par rapport à un donneur dirigé ou inversement et rien ne contre-indique le choix d’un donneur pour plusieurs receveurs ou plusieurs donneurs pour un receveur.
Connue depuis les années 1950, utilisée de temps en temps dans certains pays comme la France, les Etats Unis et l’Australie la greffe de selles s’est peu développée, à cause du concept qui est peu ordinaire et qui rencontre la réticence de certains patients et praticiens. Pourtant cette méthode possède certains avantages. Le principal de ces avantages, est celui de réduire les risques de résistance aux antibiotiques de bactéries très pathogènes tel que Clostridium difficile. En effet, lors de la prise de fortes doses d’antibiotique et de façon prolongée notre microbiote intestinal disparait. Ce qui permet la croissance de la bactérie Clostridium difficile, ce sont ses toxines qui provoquent la fièvre, les douleurs abdominales ainsi qu’une diarrhée aqueuse chez les patients. Afin de guérir cette maladie on prescrit aux patients des antibiotiques qui ne sont pas toujours efficaces. De plus, cette prise massive d’antibiotiques va conférer une résistance de l’organisme vis-à-vis de ces derniers, ce qui va fortement diminuer leurs effets pour des utilisations ultérieurs. Etant donné la résistance à l’antibiothérapie la greffe fécale reste le seul moyen efficace à la guérison de Clostridium difficile.
Peu couteuse et facilement réalisable, la transplantation fécale est une procédure simple. Les selles du donneur sont liquéfiées à l’aide d’un sérum physiologique. Une fois solubilisées, elles peuvent être soit introduites dans le rectum par coloscopie, soit par injection dans le duodénum à travers l’estomac à l’aide d’une sonde insérée dans le nez [1, 5, 6]. Grâce à cette dernière méthode qui ne nécessite pas d’anesthésie, il semblerait que les bactéries réalisent une meilleure greffe car ainsi elles colonisent tout le tractus intestinal. Néanmoins, il est vrai que ces méthodes sont inconfortables et risquées pour les patients.
Par ailleurs, cette transplantation de microbiote comporte un principal inconvénient qui est la réalisation de la transplantation en elle-même. Les méthodes proposées et mises en place ne sont pas facilement acceptables par les malades ainsi que les manipulations désagréables pour le personnel soignant. La transplantation doit être également très encadrée et utilisée lors d’infections graves et d’échecs de traitements médicamenteux efficaces car elle présente des risques infectieux ou allergiques qui peuvent survenir à court ou long terme. De plus, la sélection du donneur passe par un processus rigoureux : plusieurs entretiens médicaux, questionnaires de sélection, et examens des selles du donneur afin de s’assurer de leur validité. Pour résumer le profil idéal, le donneur ne doit pas être sujet à des infections virales ou bactériennes, ne doit pas avoir d’antécédents de maladies liées aux troubles intestinaux ou souffrir de maladies chroniques et enfin ne doit pas suivre de traitements médicamenteux remontant à moins de trois mois avant le don et surtout ne doit pas avoir subi de séjour d’hospitalisation à l’étranger moins de 12 mois avant le don. Tous ces critères et processus définis par l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament [1] peuvent être à la fois un avantage et un inconvénient : pour la présentation de donneurs, cela peut en effet décourager certains mais encourager d’autres et rassurer les receveurs par toutes ces procédures qui sécurisent.
La prochaine étape pour les médecins est, aujourd’hui, entre autres, de développer des nouvelles méthodes d’administration. Une équipe de chercheurs a montré que des gélules contenant de la matière fécale congelées seraient efficaces [5]. Pour cela, les scientifiques ont pris des échantillons de plusieurs donneurs sains n’ayant pris aucun antibiotique durant six mois et ayant subi des analyses afin de prévenir d’éventuels risques d’agents infectieux. Pour éviter tous risques de parasites ou de virus les selles ont été examinées plusieurs fois. Avant la congélation les selles sont broyées avec une solution saline, traitées puis conditionnées en gélules. La congélation permet leur conservation jusqu’à leur utilisation.
D’après l’étude, les gélules résistent à l’acide gastrique et vont se dissoudre dans l’intestin. Sur 20 patients traités, 14 ont été guéris au bout de 4 jours et un second traitement a guéri 5 des 6 patients restant.
 Si la transplantation fécale montre son efficacité dans le traitement de Clostridium difficile, les récentes recherches montrent que l’application pourrait s’élargir aux maladies inflammatoires, aux maladies neurologiques mais également pour les personnes atteintes d’obésité (cf. figure 1).


 Les récentes recherches
De nombreux travaux de recherche démontrent que la transplantation fécale pourrait guérir plusieurs maladies comme le diabète, l’obésité ou encore les maladies mentales (autisme, dépression, anxiété).
Suite à de récentes études sur le sujet, les nombreux scientifiques et médecins pensent que le microbiote aurait un réel impact sur le cerveau. En 2015, plusieurs expériences ont été réalisées sur des rats pour découvrir le lien entre le cerveau et le microbiote intestinal. Les scientifiques ont découvert que la transplantation fécale pouvait guérir de l’anxiété ou encore de la dépression. Ceci a été prouvé après une expérience durant laquelle on a implanté le microbiote d’un rat sain à un rat anxieux et on a observé que le rat allait mieux. Cette expérience a été réalisée dans les deux sens et les résultats se sont avérés convaincants même s’ils doivent être confirmés.
D’autre part, de récentes études sur les autistes ont conduit à un approfondissement des recherches concernant l’intestin. Les scientifiques et nombreux médecins rapportent que les parents d’enfants autistes les prévenaient de fréquentes douleurs intestinales. Les chercheurs ont observé que sur tous les cas d’autisme étudiés, 92% d’entre eux souffraient de troubles intestinaux et 85 % de constipation. Tout ceci semble montrer un lien entre les maladies qui touchent le cerveau et notre microbiote intestinal. De plus, ils ont observé que les enfants autistes avaient trois fois plus de problèmes gastriques qu’un enfant sain. Des expériences de transplantation fécale dans des modèles de souris autistes ou saines ont, par ailleurs, montré que ces nombreux désordres intestinaux pouvaient être à l’origine des maladies mentales comme l’autisme. Il semble donc que le microbiote pourrait avoir une influence sur le cerveau.
Il y a aussi une autre maladie qui devrait pouvoir être soignée par transplantation fécale dans les années à venir ; il s’agit de l’obésité et du diabète. Ces deux maladies rentrent dans la même catégorie car les scientifiques pensent que ce serait dû à notre régime alimentaire. Si des facteurs liés à l’hérédité et/ou à l’alimentation ont été démontrés comme étant impliqués dans cette pathologie, les scientifiques pensent, encore une fois, que le microbiote jouerait un rôle dans le développement de l’obésité et du diabète. Le Docteur David Perlmutter s’est intéressé à la question dans son livre « L’intestin au secours du cerveau ». Il explique dans ce dernier que lors d’une expérience, il a réalisé une transplantation fécale d’un patient qui était mince en bonne santé et sans problème de diabète sur une personne avec un diabète de type 2 et qu’il avait observé des améliorations sur sa maladie. Comme le docteur Perlmutter le dit : « il y a la une lueur d’espoir seulement » mais c’est déjà une avancé dans la science et cette expérience donne les mêmes résultats pour une personne atteinte d’obésité. D’après ses recherches, si un patient est atteint d’obésité ou de diabète, ce ne serait pas seulement car il aurait un régime trop riche en glucides mais surtout car le microbiote, spécifique à chacun d’entre nous, définit chacun d’entre nous. L’obésité serait donc due à un microbiote particulier avec des bactéries provoquant une croissance exponentielle de la prise de poids jusqu’à atteindre l’obésité. De ce fait, le Docteur David Perlmutter pense qu’un dérèglement dans la composition du microbiote intestinal pourrait être impliqué dans l’obésité et/ou le diabète (cf.figure 2).



Ces observations sont confortées par une autre expérience américaine sur des souris de deux catégories l’une possédant un « gros intestin » c'est-à-dire un microbiote intestinal riche et volumineux et l’autre avec un « intestin plus normal ». Ils ont fait s’accoupler les souris afin d’obtenir de nouveaux nés et les ont alimentés avec un même régime alimentaire. Les scientifiques ont constaté que les souris provenant du lot « gros intestin » sont devenues obèses alors que les autres souris sont tout à fait normales malgré le même régime alimentaire. Cette expérience prouve une nouvelle fois que le microbiote peut avoir une influence sur différentes parties de notre organisme. Cependant, l’organisme humain est beaucoup plus complexe que celui d’une souris, il faudrait donc approfondir les recherches afin d’aboutir à des résultats concrets. Pour pouvoir guérir une personne atteinte d’obésité il faut que le donneur sain soit mince et qu’il corresponde aux critères exacts de la guérison souhaitée.

L’analyse du microbiote a amélioré la compréhension au sujet de son rôle et nous a ouvert de nouvelles perspectives, comme nous avons pu le constater avec Clostridium difficile ainsi que de grands espoirs pour lutter contre le diabète. Les chercheurs réfléchissent à des approches plus futuristes en adaptant la composition du microbiote face une maladie spécifique. Il se profile à l’horizon des découvertes intéressantes au cours des prochaines années.


BIBLIOGRAPHIE
1)      Rémy BURCELIN, L. Z. (2016). Physiopothologie, métabolisme et nutryion: microbiote intestinal et santé. [page consultée le 30 mars 2016]. Inserm: http://www.inserm.fr/thematiques/physiopathologie-metabolisme-nutrition/dossiers-d- information/microbiote-intestinal- et-sante.
2)      Pigenet, L. B. (30 juillet 2014). des bactéries qui nous veulent du bien. [page consultée le 25 avril 2016]. CNRS: https://lejournal.cnrs.fr/articles/microbiote-des- bacteries-qui- nous-veulent- du-bien
3)      Argentieri.E. (2016). Flore commensales humaines, toxi-infections alimentaires collectives. Créteil.
4)      Poulin, C. 18 décembre 2013). Microbiote intestinal, nouvel organe au potentiel extraordinaire. [page consultée le 25 avril 2016]. INRA: http://www.inra.fr/Grand-public/Alimentation- et-sante/Tous- les-dossiers/Metagenome- intestinal
5)      Colomb, D. (2015). transplantation fécale: les infections récidivantes à Clostridium difficile restent la seule indication pour les essais cliniques. [page consultée le 15 mars 2016]. Le quotidien des médecin, actualités. http://www.lequotidiendumedecin.fr/actualites/article/2015/07/16/transplantation-fecale- les-infections-recidivantes- clostridium-difficile- restent-la- seule-indication- pour-les- essais-cliniques_765301#.
6)      Marion GARTEISER. (2015). E-santé, maladies, informations générales santé : Transplantation fécale : des bactéries greffées pour guérir l’intestin. [page consultée le 28/02/2016]. http://www.e-sante.fr/transplantation-fecale-bacteries-greffees-pour-guerir-intestin/actualite/422.
7)      Antoine ANDREMONT, F. B.-O.-D. (2014). La transplantation de microbiote fécale et son encadrement dans les essais cliniques. [page consultée le 18 mars 2016]. http://ansm.sante.fr/var/ansm_site/storage/original/application/5e5e01018303790194275ded0e02353c.pdf.
8)      Cohen-wiescenfeld, D. S. (5 novembre 2014). Des gélules de matière fécale congelée pour sauver des vies. [page consultée le 18 mars 2016]. siliconwadi: http://siliconwadi.fr/15755/des-gelules-de-matiere-fecale-congelee-pour-sauver-des-vies
9)      Stéphanie TEBOUL. (2012). Allôdocteurs : La greffe fécale plus forte que les antibiotiques ? [Page consultée le 28/02/2016]. http://www.allodocteurs.fr/actualite-sante-la-greffe-fecale-plus-forte-que-les-antibiotiques-_8501.html.