Si une femme peut vivre sans utérus, cet organe lui est indispensable pour avoir un enfant. En effet, son absence est responsable d’une infertilité définitive. Face à ce problème, plusieurs alternatives sont possibles et l’une d’elle, récente, est de plus en plus envisagée : il s’agit de la transplantation utérine. Alors que dans certains pays cette technique a déjà commencé à se développer, elle vient tout juste d’être autorisée en France. De plus, la naissance d’un premier enfant après une greffe en Suède est très encourageante pour le développement de la méthode.
Contexte
Il y a dans le monde 3 à 5 % des femmes qui ont une forme irréversible
d’infertilité. En France, cela touche environ une femme sur 4 500.
L’infertilité peut avoir différentes causes. Parfois, certains troubles
gynécologiques ou complications lors d’un accouchement conduisent à une hystérectomie,
c’est-à-dire une ablation de l’utérus. De plus, une malformation ou une
malposition ainsi que le vieillissement de l’utérus peuvent aboutir à une
infertilité du fait que l’utérus n’est plus fonctionnel. A cela s’ajoutent des
maladies : atteinte inflammatoire pelvienne, cancer, endométriose et
Syndrome de Rokitansky-Kuster- Haurser.
Une atteinte
inflammatoire pelvienne (AIP) correspond à une infection aiguë des voies
génitales intérieures de la femme. Elle peut toucher l’utérus, les trompes de
Fallope ou les ovaires. L’AIP est
habituellement provoquée par des infections sexuellement transmissibles (IST),
surtout la chlamydiose et la gonorrhée. Sans traitement, l'AIP peut occasionner
des détériorations permanentes aux organes reproducteurs et donc une
infertilité.
Le cancer du
col de l’utérus est causé, dans la grande majorité des cas, par une infection
par le virus du papillome
humain. Si la prise en charge est trop tardive, il faut
pratiquer une hystérectomie.
L’endométriose
se caractérise par une présence anormale de fragments d'endomètre à l’extérieur
de l'utérus. L'endomètre (la muqueuse interne de l’utérus) est éliminé durant
les menstruations puis renouvelé à chaque cycle menstruel. Dans le cas d'une
endométriose, la muqueuse ne peut être évacuée provoquant alors des symptômes
aboutissant généralement à une infertilité.
Le Syndrome de Rokitansky-Kuster- Haurser (MRKH), qui
touche une femme sur 500, correspond à une aplasie congénitale de l’utérus (dysfonctionnement
ou arrêt du développement des cellules), souvent associés à des problèmes
rénaux. De ce fait, les femmes atteintes ont un vagin malformé et ne possèdent
pas d’utérus. Parallèlement, les caractères secondaires se développent de façon
normale. [1]
L’absence de
menstruations constitue le premier symptôme : la jeune femme souffre d’aménorrhée.
Les femmes
concernées peuvent bénéficier d’une greffe sous plusieurs conditions :
elles doivent entretenir une relation stable avec leur partenaire depuis au
minimum trois ans et être âgées de moins de 35 ans. En fixant la limite d’âge à
35 ans, on réduit les risques de rejet de greffe pour la receveuse, puisqu’après
cet âge, les femmes présentent une baisse de fertilité.
Avant d’être envisagée en France cette pratique a été développée et testée dans d’autres pays. C’est le cas de la Suède qui a réalisé une grande étude et qui a été le premier pays à mettre en pratique la greffe utérine en obtenant des résultats concluants. En effet, les chercheurs de l’équipe du professeur Mats Brännström de l’Hôpital universitaire Sahlgrenska de Göteborg ont d’abord réalisé des travaux sur des souris. Puis, à partir de 2008, ils ont continué les tests sur des mammifères plus volumineux : des brebis, puis des babouins. Enfin, après plus de dix ans de recherche, ils réalisent la toute première greffe d’utérus sur une femme de 36 ans qui a pu, à la suite de la transplantation, donner naissance à un enfant alors qu’elle est atteinte du syndrome de Rokitansky. La donneuse était une amie de 61 ans, ménopausée depuis 7 ans lors de la transplantation et déjà mère de deux enfants La receveuse était tout de même capable de produire des ovocytes qui ont été fécondés par Fécondation in vitro (FIV) puis congelés. Un an après la greffe de l’utérus, l’équipe de chercheur a pratiqué l’insémination d’un embryon dans l’utérus, ce qui a engendré une grossesse. La jeune femme a accouché par césarienne en septembre 2015 d’un garçon après 31 semaines de grossesse à cause d’un risque d’hypertension pour la mère. [2]
Cette première réussite médicale représente une
source d’espoir pour les femmes qui ne peuvent pas avoir d’enfant, et cette
technique pourrait se présenter comme une alternative à la Gestation pour
autrui (GPA).
Pourtant,
avant cela d’autres tentatives de greffes n’ont pas permis de donner naissance
à un enfant : en 2000 en Arabie Saoudite où la greffe s’est nécrosée trois
mois après la transplantation, et en 2011 en Turquie où la grossesse n’a pas
été menée à terme.
Aujourd’hui,
même si le seul traitement envisageable contre la stérilité d’origine utérine
est la greffe, elle reste rare. Pourtant, de plus en plus de pays s’intéressent
à la transplantation utérine. Par exemple, l’Angleterre vient d’autoriser cette
pratique et va bientôt mettre en pratique les premières greffes d’utérus à
partir de donneuse en état de mort encéphalique. De plus, en France, l’Académie
de médecine a accepté, en juin 2015, le programme de transplantation utérine et
en novembre 2015 l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a donné son
autorisation pour les greffes. Même s’il n’y a pas encore de cas de
transplantation utérine en France, le Centre hospitalier universitaire (CHU) de
Limoges, qui pratique déjà sur des brebis depuis plusieurs années, organise les
premiers essais cliniques à partir de donneuse en état de mort encéphalique.
Le principe de la greffe d’utérus est le suivant : comme pour toute
autre greffe d’organe, la donneuse doit présenter une compatibilité tissulaire
avec la receveuse avant d’envisager une pratique chirurgicale. L’acte
chirurgical comporte deux étapes : le prélèvement puis la greffe. La
technique utilisée pour le prélèvement est différente selon l’état de la
donneuse (vivante ou en état de mort céphalique).
Les avantages
de la transplantation à partir d’une donneuse morte sont multiples. La donneuse
n’encourt aucun risque mais la durée du prélèvement est également plus courte
et la technique plus simple. La transplantation à partir d’une donneuse vivante
présente aussi des avantages : la donneuse est connue, il est donc
possible d’organiser les opérations le même jour et dans le même hôpital.
Cependant, l’intervention est beaucoup plus longue et les risques pour la
donneuse sont importants.
La greffe
d’utérus est assez difficile du fait de la présence de deux petites artères
utérines et d’un système veineux complexe qui doivent être suturés. La receveuse doit, par la suite, suivre un
traitement immunosuppresseur pour éviter un rejet. Il sera alors possible
d’envisager une grossesse.
En France, l’équipe du gynéco-obstétricien Tristan Gauthier
au CHU de Limoges a choisi huit femmes ayant des caractéristiques précises afin
de minimiser les complications médicales et obstétricales : elles ont
entre 25 et 35 ans, elles sont en bonne santé et n’ont pas encore eu d’enfant.
Après le recrutement, il sera possible de pratiquer des fécondations in vitro à
partir des ovocytes des patientes et la congélation des embryons. Ensuite, fin
2016, se feront les greffes d’utérus à partir de donneuses en état de mort
encéphalique. Il faudra attendre un an que la greffe se stabilise, avec
l’administration d’un lourd traitement antirejet et un suivi régulier. Puis,
l’implantation des embryons aura lieu [3]. Ainsi, l’autorisation en
France représente une grande avancée, mais le premier bébé naitra, si tout se passe
comme prévu, en 2018 seulement. La technique pourra alors se diffuser sur le
territoire français.
Ainsi, les
femmes pourront bénéficier d’un utérus d’une donneuse en état de mort
cérébrale, ou alors d’un don d’une personne vivante. Si l’on envisage un prélèvement sur une personne
vivante, les personnes susceptibles d’être donneuses seront les femmes
ménopausées. Les ovaires ne fonctionnent plus mais l’utérus est seulement
endormi. Ainsi l’utérus est stimulable grâce à des hormones : œstrogènes
et progestérone. De plus, les femmes qui
doivent subir une hystérectomie dans le cadre d’une pathologie n’affectant pas
l’utérus lui-même (prolapsus utérin) sont susceptibles d’être donneuses ainsi
que les femmes voulant changer de sexe.
Puisque l’utérus n’est pas un organe vital, la greffe est
éphémère. En effet, l’utérus n’est pas conçu pour être fonctionnel pendant des
années. Il est alors retiré une fois que la
receveuse a eu le nombre d’enfant désiré. Cela permet également d’arrêter le lourd
traitement immunosuppresseur, qui permettait d’éviter un rejet de
la greffe.
En comparant la greffe utérine avec d’autres greffes
d’organes dits solides tels que le cœur, les reins, ou le foie, la
transplantation d’utérus pourra devenir dans le futur l’une des plus répandues. En
revanche, si la pratique venait à se répandre, elle pourrait faire face au même
obstacle que pour les autres greffes d’organes : le manque de greffons. Pour
éviter ce problème, l’équipe suédoise du professeur
Mats Brännström travaille déjà sur une alternative : la fabrication d’un
utérus artificiel à partir des cellules souches de la future mère et de
biomatériaux. Les études sont actuellement menées sur le rat.
Encadrement de la pratique
L’encadrement du don d’organe par la loi a évolué
au fur et à mesure que les techniques médicales s’amélioraient. La loi
Caillavet de 1976 est la première grande loi qui encadre le don d’organes. Elle
a permis le développement de prélèvements divers en mettant en place la
présomption de consentement après décès. Puis la législation a évolué avec les
lois « bioéthiques » du 29 juillet 1994. Elles ont permis de fonder
le statut juridique du corps humain avec des principes qui permettent le
contrôle du don et de l’utilisation des produits du corps humain [5].
Par la suite, ces lois ont été complétées par d’autres
textes (lois de 1998 et 2004) [6] qui sont intégrés au Code Civil et
au Code de la Santé Publique.
La greffe d’utérus s’inscrit dans la législation des
prélèvements d’organes. On distingue les prélèvements sur donneurs décédés et
ceux sur donneurs vivants. Le prélèvement sur donneur mort repose sur trois
principes : le but doit être thérapeutique ou scientifique, le don doit
être gratuit et strictement anonyme. Selon la loi française, le prélèvement
d’organes peut être effectué sur une personne décédée dès lors qu’elle n’a pas
fait savoir de son vivant qu’elle ne désirait pas donner ses organes : on
parle de consentement présumé de la personne décédée. Une enquête est menée
auprès de l’entourage de la personne.
Dans le cas du prélèvement sur donneurs vivants, on ne
retrouve que deux des trois principes éthiques cités précédemment : la
finalité thérapeutique pour le receveur et la gratuité du don. En effet, le
donneur doit être un proche parent du receveur : son père ou sa mère. Dans
le cas où les parents sont incompatibles au don, le conjoint, les frères et
sœurs, les enfants, les grands parents, les oncles et tantes ou encore les
cousins germains ou le conjoint d’un des parents du receveur peuvent être
autorisés à donner un organe dans le but d’apporter un bénéfice thérapeutique
direct au receveur. Plusieurs lois successives ont permis d’élargir le champ
des donneurs. Depuis la loi bioéthique du 7 juillet 2011, il est possible
d’avoir recourt à un don croisé en cas d’incompatibilité. Le don est alors
anonyme. Le donneur doit avoir conscience des risques et des conséquences du
prélèvement.
La transplantation
d’utérus proposée comme alternative à la GPA pose de nombreux problèmes
éthiques concernant notamment sa finalité, la donneuse, la receveuse et le
devenir de l’enfant. Comment choisir du point de vue éthique entre la greffe
utérine et la GPA ?
La greffe
d’utérus se distingue des autres du fait qu’elle n’est pas vitale : son but
n’est pas la survie de la donneuse ou l’amélioration des fonctions vitales
comme dans le cas de la greffe de cœur ou de rein. Cela permet d’apporter la
capacité de donner la vie à une femme, mais est-il raisonnable de prendre des
risques vitaux dans le cadre d’une greffe qui elle-même n’est pas vitale ?
Actuellement, l’intervention est lourde pour la receveuse mais aussi pour la
donneuse dans le cas où celle-ci est vivante. En effet, le prélèvement est long
et complexe. Les risques de complications sont non négligeables.
L’origine de
l’organe pose également problème pour l’enfant notamment pour la perception
qu’il aura de sa naissance et de son rapport à sa mère, puisqu’il proviendra de
l’utérus de sa grand-mère, de celui d’un proche ou alors de celui d’une
inconnue décédée. Si la donneuse est la mère de la receveuse, elle peut se
sentir responsable de l’infertilité de sa fille et donc offrir son utérus plus
ou moins par obligation. Un aspect incestueux peut également être perçu lorsque
la donneuse est la mère du conjoint. De plus, un chantage pourrait s’installer
entre les membres de la famille et l’éducation de l’enfant pourrait poser
problème par rapport au vécu de la famille.
A cela
s’ajoute le fait que l’avenir de l’enfant, à long terme, n’est pas certain. Il
existe un risque de développement de maladies ou de retard de croissance, liés
aux traitements, qui accroit avec l’âge de la donneuse. Faut-il alors faire passer un désir d’enfant
avant le bien-être et la qualité de vie de cet enfant ?
Dans de rares
cas, l’utérus peut provenir d’une femme transsexuelle désirant changer de sexe.
Le prélèvement peut être effectué après un suivi de deux ans et après qu’elle
ait obtenu la certitude de pouvoir bénéficier des opérations chirurgicales pour
pouvoir accomplir sa transition.
Pour cela, il
faut que les deux conditions suivantes soient remplies : l’intervention
chirurgicale qui consiste en l’ablation de l’utérus doit être faite dans
l’intérêt de la transsexuelle, et elle doit être pratiquée à des fins thérapeutiques
pour la receveuse. Les donneuses transsexuelles sont intéressantes car elles
ont en moyenne moins de 35 ans, et l’un des problèmes liés à la greffe d’utérus
est l’âge des donneuses. En effet, plus la donneuse est jeune, moins le risque
de complications obstétricales est grand. Pourtant, le fait de laisser une jeune
femme encore en âge de procréer pratiquer une ablation utérine, même si elle
dit avoir satisfait ses désirs de grossesse, est discutable d’un point de vue
éthique [7].
Cette greffe
soulève de nombreuses contestations également car l’utérus est considéré comme
le symbole de la féminité d’une femme. Certains considèrent donc qu’enlever son
utérus à une femme lui enlève toute sa féminité et fait d’elle un nouveau genre
entre la femme et l’homme.
Certaines dérives peuvent également être
envisagées : une femme recevant un don d’ovocyte, un double don de gamètes
ou directement un don d’embryon, et ayant subi préalablement une greffe
d’utérus, peut-elle vraiment se considérer comme la mère de l’enfant à
venir ?
Finalement, la greffe d’utérus est une pratique peu
répandue en France du fait des risques qu’elle comporte mais qui est très
prometteuse pour les femmes en incapacité d’avoir un enfant. En effet, malgré
les problèmes qu’elle soulève, cette technique représente une bonne alternative
à la GPA. Ne faisant pas intervenir de
personne étrangère au couple dans le processus de conception de l’enfant, elle
évite le problème du lien avec la mère porteuse. Cette pratique pourrait, dans
l’avenir, être l’une des plus répandues dans le domaine de l’aide à la
procréation.
REFERENCES
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[6] Roger HENRION ; Jacques
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[7] Legifrance. (2012). Loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique. [page
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