La pénurie de médicaments est
un phénomène qui est en constante augmentation depuis plusieurs années. Les
différents chiffres ne prennent en compte que les médicaments qui ont un
caractère indispensable et qui n’ont pas d’alternative thérapeutique. En effet, comme nous pouvons le voir dans le
tableau de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) [1],
en 2008 44 médicaments ont été recensés en rupture de stock contre plus de 438
en 2014.
Il existe plusieurs causes de
pénuries, dont des retards de fabrication qui représentent 44% des problèmes de
stocks, des difficultés d’approvisionnement en matière première (17%) ainsi que
la mondialisation de la production des médicaments (Figure 1).
Schéma
représentant les causes des arrêts de distribution de certains médicaments dans
les pharmacies et les hôpitaux.(http://ansm.sante.fr/var/ansm_site/storage/original/application/5019db965cb96c1257478a583278eab8.pdf)
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Dans cet article, les causes
précises des pénuries de certains médicaments ainsi que les différents moyens
mis en place pour pallier les problèmes de stock seront décrits. Les cas particuliers de l’IMMUCYST puis du DTPolio
et du traitement d’allergies seront développés à titre d’exemple.
Tout
d’abord, l’IMMUCYST est un médicament utilisé dans le traitement de certains
cancers de la vessie [2]. Cette immunothérapie traite les carcinomes
urothéliaux non-invasifs de la vessie par le Bacille de Calmette-Guérin (BCG).
Il est notamment prescrit après une résection trans-urétrale de la vessie. Les
bactéries contenues dans ce traitement sont peu virulentes. Le fait de les
administrer aux patients ayant subi cette intervention permet de stimuler leurs
défenses immunitaires pour combattre les cellules cancéreuses restantes. En
France, cette pathologie occupe la 7ème place dans les décès liés
aux cancers, tout type de cancer confondu (ANSM) [3].
À partir
de mai 2012, l’unique site de fabrication (Sanofi-Pasteur) basé à Toronto (Canada)
a cessé sa production à cause de problèmes de stérilité du médicament qui pourraient
provoquer des complications infectieuses graves chez le patient. En effet, les
autorités canadiennes ont décelé une erreur dans le test de stérilité ce qui a
conduit à la non-conformité des règles de bonne pratique. A la suite de cette
irrégularité, le site a dû être reconstruit
[4]. Donc, depuis cette date, les pharmacies et hôpitaux vivent sur leurs
stocks. Cette difficulté d’approvisionnement concerne entre 6 000 à 9 000
patients chaque année.
Une des conséquences de la pénurie de
ce médicament est le risque d’ablation de la vessie chez les patients qui ne
peuvent bénéficier de ce traitement. Ces patients devront accepter de vivre
avec une poche d’urétérostomie à vie [5].
Les
recommandations de l’ANSM[6] sont alors de traiter les patients qui
comportent le plus de risques et de ne plus réaliser de traitement d’entretien,
qui vise à éviter les récidives de la tumeur à la suite d’une résection
endoscopique de la vessie. Certains urologues pensent que traiter uniquement
les patients comportant de grands risques pourrait diminuer les chances de
survie de beaucoup d’autres. Cependant, d’autres urologues considèrent que le
traitement d’entretien n’a pas prouvé un intérêt majeur. Ils pensent donc que les restrictions imposées par l’ANSM ne
diminuent pas la chance de survie des patients atteints de ce cancer.
Au début de la pénurie, certains
médicaments produits dans d’autres pays comme l’Allemagne ou la Belgique, ont
pu substituer l’IMMUCYST (comme l’ONCOTICE ou le BCG-MEDAC). Mais ce
remplacement n’a pu se faire que dans un délai limité. De plus, les
laboratoires de fabrication de ces médicaments ont dû s’adapter à une
augmentation de la demande, ce qui induit une période de limitation des stocks
et une répercussion sur les patients qui ne pourront pas être tous traités
immédiatement. De surcroît, pendant un certain temps, après l’annonce de
l’arrêt de la production de l’IMMUCYST, 12 000 doses sont restées bloquées en
France, en attente de l’accord du Canada pour les remettre en circulation afin
de réaliser des tests complémentaires, ces tests permettront d’évaluer le rapport
bénéfice/risque pour le patient.
À partir
d’octobre 2015, le site de fabrication a repris la production de ce médicament,
mais les laboratoires de production des traitements remplaçants ont continué à
approvisionner les pharmacies et les hôpitaux en attendant l’approvisionnement
en quantité suffisante d’IMMUCYST. Cet épisode de pénurie démontre que la cause
peut être une mauvaise gestion des stocks mais aussi le non-respect des règles
de bonnes pratiques dans la fabrication des médicaments.
Le DT Polio, lui, est un vaccin contre la
Diphtérie, le Tétanos et la Poliomyélite. Ces trois maladies sont dangereuses
et mortelles. C’est pourquoi ce vaccin est obligatoire en France pour les
enfants. La vaccination se déroule en 3 injections réalisées par voie
intramusculaire (la plus courante) ou par voie sous-cutanée au 2ème,
3ème et 4ème mois à l’aide
d’une seringue. Par la suite, un rappel est effectué entre le 16ème
et 18ème mois. Ce vaccin est contre-indiqué en cas de fièvre, de
maladie aigüe ou d’hypersensibilité à l’un des composants du vaccin (notamment
les traces d’antibiotique) ou encore lors
d’hypersensibilité à l’injection d’un vaccin contenant l’une des souches du médicament :
la vaccination sera alors reportée ou annulée [7].
Ce
vaccin a pour principe actif de l’anatoxine diphtérique, de l’anatoxine
tétanique et des virus de type 1, 2 et 3 de la poliomyélite inactivée. Les
excipients sont du phénoxyéthanol, du formaldéhyde, de l’acide acétique (ou
hydroxyde de sodium) ainsi que du milieu 199 Hanks. L’acide acétique sert à
ajuster le pH afin de ne pas perturber l’homéostasie du patient. Le milieu 199
Hanks contient des acides aminés, des sels minéraux, des vitamines et de l’eau
physiologique [8].
Ce vaccin est en pénurie dû à une forte demande
mondiale ainsi qu’à une difficulté de production.
En effet, le processus mis en place pour sa
production est le « flux tendu » qui consiste à mettre en culture les
bactéries dans des grands fermenteurs à circuit fermé, c’est-à-dire qu’il n’y a
pas ajout de nutriments tout au long du processus ce qui va provoquer la
dégradation totale de ces derniers afin de minimiser les pertes et améliorer
les délais, qui durent 20 mois pour ce vaccin. Si la production est
insuffisante, il faudra alors attendre la fin d’une autre production afin de
fournir les vaccins demandés. De plus,
d’après le laboratoire GlaxoSmithKline (GSK), certains pays ont changé leur calendrier
vaccinal ce qui a fait grimper la demande de ce vaccin. En conséquence, le
DT-Polio pour les enfants de moins de 6 ans n’est plus commercialisé en France
par les laboratoires pharmaceutiques depuis 2008. Depuis septembre 2014, la
pénurie s’est accentuée et généralisée aux vaccins tétravalents (DT-Polio plus Coqueluche)
et pentavalents (DT-Polio, Coqueluche et Haemophilus
influenzae de type B qui est responsable de 80% des méningites).
Le
vaccin étant obligatoire, les médecins sont contraints de prescrire d’autres vaccins pouvant le substituer, tel que l’héxavalent (Infanrix hexa) contenant les souches de
diphtérie, le tétanos et la poliomyélite, mais également les souches de
méningites, hépatite B et coqueluches. Cependant, ce vaccin comprend beaucoup
plus d’effets secondaires possibles. En effet, il augmente le risque
d’hypersensibilité qui est surtout dû à la souche de la coqueluche.
Vacciner des enfants contre 6 maladies graves
en même temps augmente les risques de déclencher une réaction immunitaire
incontrôlée (choc anaphylactique) ou de maladie auto-immune sur le long terme
[9].
Il contient également des adjuvants permettant
d’augmenter l’efficacité du vaccin tels que l’aluminium et le formaldéhyde, des
substances dangereuses pour l’être humain, et plus particulièrement pour les nourrissons
qui peuvent provoquer des maladies graves comme la myofasciite à macrophages
(douleurs musculaires, articulaires, fatigue et une légère fièvre). Enfin, il
coûte beaucoup plus cher que les autres vaccins, ce qui ne facilite pas la
prescription ou l’acquiescement des parents à la vaccination de la diphtérie,
du tétanos ou de la poliomyélite par d’autres vaccins.
Cette pénurie ne laisse que deux choix
possibles aux parents : soit laisser leur enfant sans vaccination et il sera donc exposé à de grands risques de contamination et des poursuites pénales, ainsi que l’exclusion des crèches, écoles, etc. soit vacciner leur enfant avec le vaccin hexavalent (DT-Polio-Hib-Coqueluche-Hépatite B), l’Infanrix Hexa le seul qui n’est pas atteint par la pénurie [10].
Enfin, APSI Staloral, Alustal et Phostal sont des
médicaments utilisés dans la désensibilisation des personnes allergiques aux
pollens ou aux acariens [11]. Ces médicaments sont conçus par un
laboratoire français « Stallergene » qui détient le monopole de la
production de ces traitements. Stallergene produit des Allergènes Préparés pour
un Seul Individu (APSI) c’est-à-dire que les doses sont adaptées pour chaque
patient en fonction de ses allergies et de ses besoins de désensibilisation.
L’arrêt de la production, datant du 3 décembre 2015, fait suite à des erreurs
de distribution dû au changement du système informatique du laboratoire le 13
aout 2015 [12]. Ce changement de système a eu pour conséquence le
déséquilibre de la chaine de distribution. Les conséquences les plus graves sont la
réception par les patients de médicaments qui ne leurs sont pas destinés.
Certains ont reçu des doses d’allergène trop élevées, fort heureusement les
patients se sont très vite aperçus du problème. Cette pénurie touche environ 70
000 patients. Il existe des traitements de substitution mais les allergènes
pris en compte sont moins nombreux. Un laboratoire danois (ALK) produit aussi
ce type de traitement (APSI) avec un aussi large panel d’allergènes mais ne
peut pas pallier les besoins de tous les patients atteints par la pénurie.
L’arrêt de production de Stallergene induit donc une importante pénurie.
C’est pourquoi l’ANSM
recommande aux patients de stopper les traitements et de renvoyer les doses
reçues. Il est recommandé aux médecins de ne pas débuter de nouveaux traitements ASPI et de traiter les patients avec des traitements
d’entretien comme les antihistaminiques ou les antiasthmatiques. Les
retentissements de cette pénurie ne sont pas gravissimes immédiatement pour les
patients mais elle met en péril la réussite de la désensibilisation si elle
dure plus de deux ou trois mois. Le retard pris ne pourra pas être récupéré, et
les patients devront recommencer le traitement de désensibilisation qui repose
en grande partie sur la régularité du traitement [13]. Par
conséquent cela fait perdre du temps aux patients et de l’argent à la sécurité
sociale car elle aura remboursé des traitements qui n’auront pu être observés jusqu’au bout et donc devenus
inefficaces. Le 10 mars 2016 Stallergene a annoncé qu’il avait obtenu l’autorisation
de redémarrer son activité.
Pour conclure, nous remarquons que les causes
de pénuries des médicaments sont diverses et ont différentes conséquences plus
ou moins graves sur les patients en fonction du type de traitement. En effet,
la rupture de stock des médicaments concerne aussi bien des produits qui ne
traitent pas forcément une urgence vitale et ceux qui sont indispensables pour
soigner les patients. Il y a différents moyens qui ont été mis en place pour
tenter de pallier ce manque de stock. Les différentes solutions sont plus ou
moins efficaces. Il y a notamment la priorité des « anciens »
patients atteints de cancers à qui le traitement en rupture de stock est
privilégié. En ce qui concerne les traitements de désensibilisation pour les
allergies, bien qu’il ne soit pas directement vital pour le patient, la pénurie
de ces médicaments pose de nombreux problèmes sur la perte de temps pour
réaliser ces désensibilisations. En effet la pénurie provoque un arrêt de la
désensibilisation et l’obligation pour les patients allergiques de devoir
recommencer l’année suivante avec un autre médicament. Parfois, les médecins
essayent de substituer le médicament qui est en rupture de stock par un autre.
Mais parfois, le substituant est moins efficace, moins bien supporté par les
patients avec plus d’effets secondaires. Ce n’est donc pas une très bonne
alternative. Sur l’histogramme ci-dessous (Figure 2), nous pouvons constater la
très forte augmentation du nombre de médicaments en rupture de stock chaque
année.
Webographie
[1]DEBOURGES Dominique. 12
mars 2015. Gestion des ruptures de stock
de médicaments
d’intérêt
thérapeutique majeur par l’ANSM. [Page consultée le 02/01/2016]. http://ansm.sante.fr/var/ansm_site/storage/original/application/5019db965cb96c1257478a583278eab8.pdf
[2] Kim
HULLOT-GUIOT. 2012. Libration : Cancers de la vessie :
«10 000 doses d'Immucyst vont être débloquées». [Page consultée le
9/05/16]. http://www.liberation.fr/societe/2012/07/27/cancers-de-la-vessie-10-000-doses-d-immucyst-vont-etre-debloquees_836011.
[3],[6]Rédaction de pourquoi docteur. (2015). Pourquoi
docteur : cancer de la vessie : les patients confrontés à une pénurie
de traitement. [Page consultée le 9/05/16]. http://www.pourquoidocteur.fr/Articles/Question-d-actu/9846-Cancer-de-la-vessie-les-patients-confrontes-a-une-penurie-de-traitements.
[4]David PAITRAUD. 2015. Vidal : IMMUCYST (BCG atténué) : remise à disposition
progressive après 3 ans de rupture de stock. [Page consultée le 9/05/16]. https://www.vidal.fr/actualites/18381/immucyst_bcg_attenue_remise_a_disposition_progressive_apres_3_ans_de_rupture_de_stock/.
[5]Sébastien KEROUANTON. 2015. La nouvelle
republique.fr : cancer : son médicament est en rupture de stock.
[Page consultée le 9/05/16]. http://www.lanouvellerepublique.fr/Vienne/Actualite/Sante/n/Contenus/Articles/2015/01/15/Cancer-son-medicament-est-en-rupture-de-stock-2186000
ANSM. Rupture d’approvisionnement
d’Immucyst : recommandations temporaires pour assurer la continuité des soins -
Point d'information. [page consultée
le 9/05/2016]. http://ansm.sante.fr/S-informer/Points-d-information-Points-d-information/Rupture-d-approvisionnement-d-Immucyst-recommandations-temporaires-pour-assurer-la-continuite-des-soins-Point-d-information
[7] mesvaccins.net. (2010).
Mon carnet de vaccination électronique : Revaxis. [page consultée le
18/04/2016]. https://www.mesvaccins.net/web/vaccines/30-revaxis
[8] ANSM. () ANSM Agence Nationale de
Sécurité du médicament et des produits de santé : Vaccin DTPolio®
(Diphtérie-Tétanos-Poliomyélite) de Sanofi Pasteur MSD : suspension temporaire
de distribution par mesure de précaution. [page consulté le 20/04/2015]. http://ansm.sante.fr/S-informer/Presse-Communiques-Points-presse/Vaccin-DTPolio-R-Diphterie-Tetanos-Poliomyelite-de-Sanofi-Pasteur-MSD-suspension-temporaire-de-distribution-par-mesure-de-precaution
[9] LeMonde.
(). Edition Globale : De la pénurie
à la controverse, le point de la vaccination en France. [page consulté le
26/04/2016] http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/06/05/de-la-penurie-a-la-controverse-le-point-sur-la-vaccination-en-france_4648288_4355770.html
[10] FranceTVinfo.
(2014). Les sujets du jour : Pénurie de vaccin DT polio : un recours
collectif lancé contre le vaccin combiné. [page consulté le 25/04/2016]. http://www.francetvinfo.fr/sante/une-action-de-groupe-lancee-contre-le-vaccin-dtpolio-obligatoire_1173259.html
[11]Léa Surugue. 2015. Pourquoi
docteur : Allergies : pourquoi les médicaments Stallergènes ont été
suspendus. [Page consultée le 18/05/16]. http://www.pourquoidocteur.fr/Articles/Question-d-actu/13389-Allergies-pourquoi-les-medicaments-Stallergenes-ont-ete-suspendus.
[12]Bruno TREVIDIC. 2015. Les
Echos.fr : Le gros bug de Stallergenes prive 70.000 patients de traitement.
[Page consultée le 18/05/16]. http://www.lesechos.fr/23/12/2015/lesechos.fr/021577757869_le-gros-bug-de-stallergenes-prive-70-000-patients-de-traitement.htm.
[13]Tribune
de Genève. 2016. Tribune de Genève : Pénurie de traitements contre les allergies. [Page consultée le
18/05/16]. http://www.tdg.ch/sante/sante/Penurie-de-traitements-contre-les-allergies/story/27460968.