Les microorganismes du sol au service de l’environnement : rêve ou réalité ?

Cyril Anjou, Mélanie Exiga, Faïza Irchadi, Maëva Loock, Laurie-Anne Trival


Du XIXème siècle et la révolution industrielle à aujourd’hui, l’industrie n’a cessé de se développer. Ceci a entraîné une pollution des sols par les hydrocarbures, les métaux lourds mais aussi par les pesticides utilisés dans l’agriculture. Cette pollution appauvrit les sols, les rend inutilisables et dangereux car ils peuvent contaminer les eaux. Face à la croissance de la population il est important de trouver des moyens adéquats afin de rendre ces surfaces polluées de nouveau exploitables. La bioremédiation par les microorganismes est un des moyens que les scientifiques ont trouvé pour faire face à la pollution des sols. Elle trouve également une application en agriculture, mais elle possède aussi certaines limites.

Utilisation dans l’environnement
Les microorganismes au service de la dépollution des sols
En développement durable les microorganismes sont la nouvelle solution pour améliorer la fertilité des sols ou protéger les plantes de maladies sans utiliser de produits chimiques nuisibles qui tendent plutôt à “stériliser” la terre en tuant tous les microorganismes sans distinction.
Les microorganismes peuvent aussi être utilisés pour dépolluer le sol des matières organiques et de métaux lourds, car certains s’en nourrissent.
L’utilisation des microorganismes dans la dépollution des sols est appelée biodépollution mais on parle plus précisément de bioremédiation.
Les matières organiques, telles que les hydrocarbures, sont les principaux polluants de notre planète. Pendant longtemps, ils ont été à l’origine d’une pollution massive dans les milieux aquatiques et dans les sols. Ces matières organiques proviennent des activités industrielles et agricoles mais également des déchets de notre vie quotidienne.
Certaines matières organiques sont biodégradables. Ce sont des substances qui peuvent se dégrader en eau, méthane ou dioxyde de carbone sous l’action de microorganismes vivants, tels que les bactéries ou les champignons. Les microorganismes aérobies vont permettre une biodégradation plus lente en conditions anaérobies et donc plus respectueuse de l’environnement car il y aura une production de gaz à effet de serre moins intense.



Schéma représentant le mécanisme du compostage issu du site du Bureau d’Etudes Industrielles "Energies Renouvelables et Environnement" (2014)

On connait plusieurs techniques de biodégradation. Le compostage est une technique que l’on peut réaliser chez nous, dans notre jardin. Il suffit de rassembler les matières organiques biodégradables dans un seul endroit favorable à la multiplication de microorganismes. La première phase est appelée la phase de décomposition durant laquelle les microorganismes vont attaquer les parois cellulaires des molécules concernées à l’aide d’une enzyme. Une fois les parois cellulaires détruites l’intérieur du contenu de la cellule va s’écouler. Lors de la phase de maturations ce sont les vers (et autres insectes) qui vont venir manger les restes de la cellule, il n’en restera que des miettes, qui vont pouvoir se recycler en éléments nourriciers tels que l’eau ou le dioxyde de carbone.


Le purin d’ortie associé aux EM (Effective Micro-organism, souche de bactéries sous forme liquide non modifiée génétiquement) est notamment une technique de biodégradation. Les EM sont des solutions liquides contenant un mélange de différentes souches bactériennes. Ces microorganismes vont permettre la dégradation des matières organiques de la même manière que le compostage, mais vont également permettre l’action  d’une fermentation, avec apparition de substances bioactives facilement réexploitables par les végétaux, et d’une anti-oxydation (car l’oxydation est un des facteurs favorables à l'apparition de maladies et de ravageurs).  
Cependant, les matières organiques ne sont pas les seuls polluants des sols. Les métaux sont également d’importants polluants (aluminium, cuivre, plomb, nickel…) qui eux, à l’inverse des matières organiques, ne sont pas biodégradables et ne peuvent donc pas être dégradés. Ces métaux proviennent des apports urbains tels que les transports ou les boues d’épuration des stations urbaines mais également des apports industriels avec la production d’énergie et la métallurgie.
Dans les sols, les métaux ont différents comportements. Cela est dû à leur degré d’oxydation ainsi qu’à leur complexation. Leurs formes chimiques peuvent également subir plusieurs transformations, d’une part par les différentes caractéristiques physico-chimiques des sols, et d’autre part par les bactéries déjà présentes dans les sols. Lorsqu’il y a une modification de la forme chimique des métaux, il y a aussi une modification de leur biodisponibilité, c'est-à-dire de leur aptitude à être absorbés par des organismes vivants.
Ainsi pour pouvoir dépolluer les sols des métaux, il faut diminuer leurs biodisponibilités. Les microorganismes peuvent permettre cela en mettant en jeu différentes interactions qui permettraient d’augmenter la solubilité des métaux pour les extraire (=biolixiviation), ou à l’inverse de les immobiliser afin de les confiner (=biominéralisation).
La biolixiviation est une technique qui fait intervenir des bactéries d’origine naturelle. Celles-ci vont permettre de solubiliser les métaux en matière organique biodégradable. Pour cela les bactéries vont puiser leurs sources d’énergie dans l’oxydation du fer ou du soufre. Ces microorganismes sont la plupart du temps acidophiles et thermophiles. La biolixiviation se fait par deux procédés. Les bactéries les plus fréquemment utilisées dans ce procédé sont du genre Thiobacillus et Leptospirillum.
La biominéralisation est un procédé qui consiste à produire des minéraux par l’utilisation de microorganismes. La biominéralisation va se faire soit par réduction en anaérobiose, soit par réduction en aérobiose.               
Lors de la réduction en anaérobiose du soufre, ce sont des bactéries sulfato-réductrices telles que Desulfovibrio, qui vont produire du sulfure d’hydrogène et qui vont précipiter les cations métalliques sous forme de sulfure insoluble.                
Pour la biominéralisation en aérobiose les bactéries vont produire des précipités minéraux insolubles de phosphate d’uranyle. Les bactéries utilisées sont du genre Pseudomonas, Citrobacter et Arthrobacter.



Ainsi, que ce soit pour des éléments biodégradables ou non, les microorganismes jouent un rôle important dans la dépollution des sols grâce à de nombreux procédés respectueux de l’environnement.

Schéma de la biominéralisation du fer issu du site de l’Université Ludwig Maximilian de Munich

Les microorganismes au service de l'agriculture



L'agriculture moderne cherche donc à limiter au maximum l'utilisation des produits chimiques comme les pesticides. L'usage des microorganismes est la principale alternative à leur utilisation.

Le microorganisme le plus utilisé de nos jours est le Bacillus thuringiensis (Bt). Cette bactérie aérobie a la capacité, contrairement aux autres bactéries du groupe Bacillus cereus, de synthétiser des cristaux protéiques (associations de protéines) ayant une propriété insecticide sur les larves de lépidoptères, coléoptères et diptères. Ces toxines agissent sur des récepteurs spécifiques de l’intestin, ce qui entraine une rupture des cellules de l'intestin de la larve. La larve ainsi tuée, elle est ensuite consomée par les bactéries.
L'utilisation du Bt n'est pas nouvelle : il a été découvert en 1901, et a fait son apparition en environnement dès les années 1930. Dans les années 1950, ce Bacillus est utilisé dans les forêts, les 

champs et les vignobles, et est énormément utilisé peu après 1970 pour lutter contre les papillons parasites dans les champs de maïs. En 1976, la découverte de deux nouveaux sérotypes de la bactérie (israelensis et tenebrionis) permet de lutter contre les larves de moustiques.

Ces dernières années, les scientifiques s'intéressent de nouveau à cette bactérie, notamment en génétique avec l'apparition de plantes OGM dites Bt, capables de synthétiser la thuringiensine, la toxine de Bacillus thuringiensis. Cette toxine est d'ailleurs utilisée en agriculture biologique lorsqu'elle est d'origine naturelle, et son avantage est que grâce à sa haute sensibilité aux rayons UV, elle ne reste que quelques heures sur les plantes et ne persiste donc pas dans les aliments.


Schéma du mode de fonctionnement de Bacillus thuringiensis issu du site de l’Hindawi Publishing Corporation (2012)




Mais les microorganismes du sol ne sont pas utilisés uniquement comme pesticides, ils peuvent également aider la plante à se développer, à grandir ou à se nourrir, comme un engrais. La plus connue des bactéries ayant pour but tout cela est le Rhizobium, qui est utilisé afin de remplacer les engrais azotés, grande source de pollution en nitrate des nappes phréatiques. Le Rhizobium est une bactérie vivant en symbiose avec les légumineuses : les plantes vont fournir à la bactérie des substrats carbonés (issus de la photosynthèse), et la bactérie va fixer l'azote de l'air et le transformer en ammonium utilisable par la plante.


Ces bactéries "engrais" n'agissent pas nécessairement en symbiose : par exemple, le Bacillus amyloliquefaciens sp IT45 rend plus soluble le phosphore dans les sols à pH alcalin où il est fixé par le calcium, et le rend donc beaucoup plus disponible pour les plantes. Cet exemple montre qu'à chaque situation difficile pour la culture des plantes, il existe un microorganisme pouvant régler le problème, que ce soit par symbiose, par simple action du microorganisme sur l'environnement ou par modifications génétiques.

Limites
De nombreux microorganismes sont présents dans les sols, comme Actinomycètes, qui joue un rôle dans la décomposition des matières organiques, Bacillus amyloliquefaciens qui est une bactérie aérobie stricte, colonise les racines des plantes, ralentit les champignons nuisibles et génère des auxines, hormones de croissances, et bien d’autres. Les microorganismes assurent la décomposition de la matière organique en éléments nutritifs comme l’azote et le phosphore. Ils sont responsables de la dégradation des polluants organiques tels que les hydrocarbures et les pesticides.
Mais certaines espèces comme Bacillus thuringiensis, jouent le rôle de pesticide dans les sols. Plusieurs contraintes sont liées à l’utilisation des spécialités formulées à partir des spores et des cristaux de Bt. Les doses à utiliser sont différentes en fonction du ravageur (lépidoptères, coléoptères, diptères), du sérotype, ainsi que de la formulation (en poudre ou liquide) du produit. Les traitements les plus efficaces sont ceux appliqués sur des insectes toujours en phase larvaire, il serait donc préférable de connaître le cycle de développement des parasites visés. De plus, la durée de vie des Bt dépend des différentes conditions climatiques. En effet, les cristaux sont inactivés par les rayonnements ultraviolets, et le traitement effectué peut être remis en question à cause de la pluie puisque la toxine Bt est très instable en phase aqueuse. Il s’avère également que Bt peut se révéler toxique pour les animaux à sang chaud. Il a été démontré sur des rats de laboratoire de type Sprague-Dawley que le poids de leurs poumons augmente tout comme le taux de l’hydroxyproline pulmonaire après qu’ils aient été en contact avec la Bt. Se pose aussi le problème de l’impact de la protéine Bt sur l’environnement : en effet, il y a un risque de toxicité des sols contaminés, d’accumulation de sédiments toxiques dans les fleuves et dans les estuaires.
On parle de souches résistantes à Bt depuis déjà quelques années. Le premier cas a été signalé en 1985 par le chercheur McGaughey. Ce fut une souche provenant de l’espèce Plodia interpunctella retrouvé dans un silo à grain et ayant déjà été en contact avec Bt dans son habitat naturel. Il fut révélé qu’elle était 100 fois plus résistante qu’une souche de laboratoire non résistante. Une population sauvage d’insectes résistants à Bt a été observée à Hawaï dans la nature. Il s’agit d’une souche de Plodia xylostella ayant subi plus de 100 traitements et vivant dans un milieu partiellement fermé où les échanges génétiques avec d’autres populations sont très limités. Il s’est avéré par la suite que cette résistance face au Bt était héréditaire.

Les microorganismes interviennent donc aussi bien dans la dépollution des sols que dans l’agriculture.
Les deux techniques de biodégradation que sont le compost et les EM reposent sur la coopération de plusieurs organismes différents pour accomplir leur mission selon les différentes étapes.
Les microorganismes sont également d’une grande aide pour les métaux lourds qui sont un réel problème dans la pollution des sols. Ainsi, chaque technique - la biolixiviation et la biominéralisation en aéro- ou anaérobiose - a ses bactéries de prédilection qui peut la rendre efficace (respectivement : Thiobacillus et Leptospirillum, et Desulfovibrio ou Pseudomonas, Citrobacter et Arthrobacter).  On obtient alors une dépollution effective et respectueuse de l’environnement.
L’agriculture, ayant bien souvent recours aux pesticides, peut également se tourner vers les microorganismes pour les remplacer efficacement. Pour cela elle peut compter sur Bacillus cereus qui est la plus utilisée en raison de sa propriété insecticide naturelle. D’autres bactéries peuvent aussi servir d’engrais pour améliorer la croissance des plantes ou les aider à se nourrir, par symbiose avec celles-ci ou simplement par action sur leur environnement, ce qui permet également de limiter la pollution des sols par des engrais chimiques.


Cependant, l’utilisation de tous ces microorganismes doit rester ciblée, adaptée aux nuisibles à éliminer et limitée afin d’obtenir les effets escomptés, puisque certaines techniques sont instables et toxiques pour d’autres espèces animales (comme Bacillus thuringiensis pour les animaux à sang chaud).

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